Colloques – FOOD 2.0 LAB
Nourritures 2.0 : Métissages alimentaires et nouvelles technologies : France, Etats-Unis, Turquie
Colloque sous la direction de Pierre Raffard
Paris, le 16 décembre 2016, CNRS (ISCC) – L’annonce de la mise sur le marché américain de denrées alimentaires produites grâce aux récentes avancées dans les domaines de la biologie moléculaire et de la génétique marque une nouvelle étape dans la manière dont les technologies redéfinissent notre rapport à l’alimentation. En effet, à côté de l’exemple californien, d’autres progrès techniques et technologiques, notamment ceux concernant les réseaux communicationnels, dotent aujourd’hui les mangeurs de nouveaux outils susceptibles d’influencer leurs choix alimentaires. La comparaison de trois contextes nationaux différents (France, Etats-Unis, Turquie) doit permettre de mieux comprendre le rôle de ces nouvelles technologies, les réponses qu’elles prétendent apporter aux mangeurs et comment elles participent à la diffusion de nouveaux modèles alimentaires.
- Histoire et géographie du modèle agro-industriel : comparaison Etats-Unis, France, Turquie
- Les nouvelles technologies, facteurs de transformation alimentaire
- Métissages 2.0 ?
Programme – TBA
Conférences – FOOD 2.0 LAB
Colloque ISCC (CNRS)
Institut des sciences de la communication CNRS / Paris-Sorbonne / Université Pierre-et-Marie-Curie
Vendredi 14 octobre 2016 – 9h30-17h
Programme
9h30 : Gilles Fumey : Aller à la racine de la bio
De quoi parle-t-on exactement lorsqu’on manipule les termes de nature et de bio dans l’alimentation ? On pourrait penser la question réglée par l’évidence d’usages courants . Or, le message ne cesse de se brouiller et depuis l’invention de la Nature, on tourne autour d’une idée qui refait surface à chaque grande crise. Hier, c’est-à-dire avant la Première guerre mondiale avec R. Steiner (Assouly). Aujourd’hui et demain avec la Californie qui veut réinventer une alimentation en phase avec des idéaux inspirés de la Nature (Delerins) ?
10h : Olivier Assouly, philosophe : Nous, la biodynamie et Steiner
Aujourd’hui, l’évocation du nom de Rudolph Steiner est moins signifiante que la « biodynamie » ou, dans son sillage, l’avènement de pratiques, au cours du 20ème siècle, liées à une agriculture dite biologique. De fait, les agriculteurs – essentiellement des vignerons – qui opèrent en biodynamie obtiennent des résultats spectaculaires ; gage d’efficacité sans quoi cette pratique serait réservée au cercle restreint des fervents de l’anthroposophie. Cependant, le caractère précurseur, voire prophétique, du Cours aux agriculteurs, série de conférences données dans les années 20, dressant le tableau, plusieurs décennies avant la Révolution verte, des manquements du système actuel d’agriculture, nous permet-il de concevoir autrement les rapports de l’homme avec la nature ? Sur quelles bases et à quelles conditions ?
11h : Richard C. Delerins, anthropologue : Génétique et « biologie synthétique » : la nature régénérée. La révolution Food 2.0 en Californie
L’arrivée de la microbiologie dans l’ère de la génomique au milieu des années 1990, a permis de repenser l’alimentation à l’échelle moléculaire et cellulaire. Très récemment, génomique et microbiologie ont franchi une étape décisive avec l’avènement de la « biologie synthétique » et de la méthodologie dite « CRISPR/Cas9 » qui permet d’« éditer » de l’ADN à la manière d’un logiciel de traitement de texte. Entre naturel et artificiel les barrières s’effacent. L’imaginaire culinaire et l’innovation alimentaire n’échappent pas à ce mouvement de reconstruction des aliments sur leur base moléculaire. Dans l’alimentation, de nombreux projets en biologie synthétique sont développés par des startups de la Food tech. Le vivant devient de l’information. Et l’information peut se matérialiser dans des formes vivantes déjà existantes ou nouvelles. Plus que jamais, « Food is information ». Mais la Nature en est-elle pour autant régénérée ?
12h 30 : Buffet
13h30 : Les clés intellectuelles, culturelles et politiques du développement de la bio en France. Table-ronde avec trois acteurs de la Bio en France. Le débat est piloté par le Food 2.0 LAB.
Gilles Pérole, Adjoint au Maire de Mouans-Sartoux (06), Conseiller communautaire du Pays de Grasse , Vice-Président du club des villes et territoires cyclables
Didier Perréol, Président de l’Agence Bio, a fondé Nature Vivante (aujourd’hui appelée Fondation EKIBIO). PDG du Groupe EKIBIO, (neuf sociétés et 200 salariés) qui met la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) au centre de ses priorités (locaux écologiques, énergies renouvelables, cantine bio, commerce équitable etc…).
Stéphane Veyrat, Président de l’association Un plus Bio (2002) pour favoriser l’introduction d’une alimentation biologique et durable en restauration collective. L’association se veut pionnière dans le développement de systèmes alimentaires au service du développement des territoires.
16h-17h : Controverses sur la bio : Science, Nature, un faux débat ?
Avec Gilles Fumey & Christophe Lavelle, biophysicien (CNRS : Museum d’histoire naturelle et ISCC) :
Pointant les controverses sur l’environnement, la santé des producteurs et des mangeurs, nous évoquons toutes les contradictions, les incompréhensions, les blocages et menons un état des lieux sur les enjeux du débat sur la bio en France et dans le monde. Sans complaisance, le débat permet de comprendre comment se créent les positions de part et d’autre, comment elles ont stérilisé l’économie de la bio, comment les verrous sautent ou non. Et quel avenir se dessine pour la bio dans la prochaine décennie.
L’Alimentation de demain après la COP 21
Le vendredi 26 février – Autour des chercheurs auteurs de cette somme « L’alimentation à découvert », parue chez CNRS-Editions, le pôle Alimentation de l’Institut des sciences de la communication du CNRS propose une rencontre-débat dans le prestigieux Hôtel de Lauzun, 17 quai d’Anjou, Paris, sur l’île Saint-Louis.
Avec Catherine Esnouf (Les grands défis alimentaires, posés par le changement climatique), Olivier Assouly (Le retour du goût ?), Christophe Lavelle (De la diététique à l’écologie: la cuisine au chevet de notre corps et de notre planète), Marie-Hélène Jeuffroy (Les systèmes durables. Les légumineuses pour l’avenir), Bruno Laurioux ( Les sciences sociales au secours des mangeurs) et Gilles Fumey (Manger, un casse-tête !).
COMPTE-RENDU par Pascale Brevet sur Alimentation générale
Croiser les mondes
L’alimentation est à la croisée des chemins de nombreuses disciplines, Jean-Anthelme Brillat-Savarin l’écrit déjà en 1825 dans sa Physiologie du Goût. La Méditation III, dans laquelle il donne sa célèbre définition de la gastronomie, est aussi l’occasion pour lui de préciser que cette dernière est question d’histoire naturelle, de cuisine, de physique, de chimie, de commerce ou encore d’économie politique. Et si l’alimentation a longtemps été le parent pauvre du monde académique, son examen au travers d’un prisme pluridisciplinaire, ou plutôt des prismes de différentes disciplines, n’est pas un exercice nouveau : il fait régulièrement l’objet de colloques divers et variés. L’ambition était par ailleurs déjà en germe dans L’Alimentation à découvert (CNRS Éditions), livre prétexte à la rencontre de vendredi dernier, qui propose un tour des connaissances sur l’alimentation pour en comprendre les enjeux au XXIème siècle et réunit les contributions de scientifiques et chercheurs de tous bords.
Pérenniser le dialogue
La différence ici, c’est que Gilles Fumey et ses compagnons d’aventure entendent pérenniser le dialogue par le biais de ces rencontres, et plus généralement de Food 2.0 Lab. Les échanges de vendredi dernier montrent bien toute l’ampleur de la tâche. Qu’y apprend t’on? Prenez un ingénieur de l’INRA : son intervention sur le sujet « Penser l’alimentation de demain » peut parfois prendre des airs de démonstration mathématique.
Une telle mise en équation peut-elle permettre d’engager l’échange avec un philosophe qui, face à la même question, repart de la pensée de Jean-Jacques Rousseau pour interroger le goût (sens gustatif) et sa plasticité, suggérer qu’il déroge à sa fonction première – détecter des matières comestibles pour renouveler les forces de l’individu à travers l’acte de manger – dès lors qu’il évolue, et enfin introduire l’idée d’une régulation de l’alimentation qui se ferait plutôt par l’appétit que par le goût?
Un géographe qui s’interroge sur ce que disent nos corps qui mangent et propose une grille de lecture de la globalisation de l’alimentation et de ses limites basée sur la position dans laquelle nous mangeons – debout, à table, sur une table basse ou par terre – et un biophysicien qui s’intéresse à la régulation de l’expression génétique et aux propriétés biophysiques des macromolécules, avec des applications notamment en gastronomie moléculaire, peuvent-ils, sans mauvais jeu de mots, se nourrir l’un l’autre, enrichir leurs travaux respectifs et, ensemble, produire un nouveau savoir?
Conférénce débat avec Carlo Petrini fondateur du mouvement Slow Food
Le 28 janvier 2016, Gilles Fumey accueille Carlo Petrini au nom du laboratoire et, particulièrement, d’Edgar Morin, fondateur de l’ISCC et compagnon intellectuel de Carlo. Voici les principaux points de son intervention. Pour le quotidien britannique The Guardian, il est l’un des cinquante hommes qui peuvent sauver la planète. Ses biographes le disent journaliste, sociologue, écrivain, homme politique. Lui aime à se présenter comme un « gastronome », et nous raconte une gastronomie engagée et imagée.
COMPTE-RENDU
« Le système alimentaire actuel est criminel » assène-t-il. Carlo Petrini est un homme de conviction, sûr de ses valeurs, mais aussi un homme d’action. En 1989, il fonde SlowFood, qu’il présente comme un « mouvement international pour la culture alimentaire, une réaction contre la malbouffe et l’homologation du goût, en défense de la biodiversité culinaire ». En 2004, il rassemble au réseau Terra Madre, 8500 petits producteurs agricoles. L’Université des sciences gastronomiques de Pollenzo ouvre la même année sous son impulsion dans le Piémont italien, à Bra. Elle est la seule université au monde entièrement dédiée à l’étude interdisciplinaire du paysage alimentaire mondial.
Carlo Petrini regrette que beaucoup aient de la gastronomie une idée restreinte et stéréotypée, idée véhiculée par la télévision et les magazines. Lui préfère nous parler du gastronome français Jean-Anthelme Brillat-Savarin et de l’ouvrage visionnaire qu’il an publié en 1825. Dans sa Physiologie du goût, le juriste devenu gastronome qu’est Brillat-Savarin propose vingt préceptes pour construire une société gastronome. Tout au long de l’ouvrage, Brillat-Savarin montre les multiples dimensions de la gastronomie : elle est économique et politique, elle est aussi un enjeu de santé – Hippocrate n’a-t-il pas dit que la nourriture est la première médecine ? Elle doit aussi être écologique : aujourd’hui, l’agriculture est responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre. La ressource eau est importante, précise Carlo Petrini : « Dans le Jourdain, où Jésus a été baptisé, aujourd’hui on peut à peine se tremper les pieds… ».
La gastronomie est aussi esthétique : écarter une patate à tubercule sous prétexte qu’elle est mal fichue est un « acte fasciste » ! La gastronomie est enfin un élément considérable de notre patrimoine. Pier Paolo Pasolini disait ainsi que le jour où l’Italie n’aura plus d’artisans et de paysans, elle aurait perdu son histoire.
Il y a une triste histoire que Carlo Petrini aime raconter. Dans la région des Monti Lattari près de Naples, la mucca agerolese produit le lait qui sert à faire le célèbre fromage Provolone del Monaco. Les vaches de race locale peuvent donner douze litres par jour, litre acheté 0,32 euros aux paysans. La graisse qu’il contient est récupérée et utilisée par les industriels pour la pâtisserie, et c’est donc un lait pauvre en nutriments qui est vendu en supermarché. Situation économiquement intenable pour les éleveurs et mauvais lait vendu au consommateur ! La fausse solution qu’ont trouvée les éleveurs, c’est la frisonne, une vache hollandaise qui produit 40 litres par jour. Terroir et consommateurs sont oubliés…
La conclusion de ces questions sur la gastronomie, est que « notre système doit changer, la politique doit se réveiller ». Il faut travailler à la construction d’un réseau qui doit réagir aux bonnes pratiques. Carlo Petrini reconnaît que le changement est dans l’air, changement poussé par la naissance d’un sentiment d’une communauté de destin, terme qu’il emprunte à Edgar Morin, fondateur de ces lieux où il est invité… Il s’émerveille face à Bernie Sanders, candidat à la primaire démocrate aux Etats Unis, militant d’une agriculture locale et durable telle que l’imagine SlowFood. Impensable il y a quelques années.