Cuisines du monde

Ce qu’on mange est souvent cité comme un exemple de diversité culturelle. Après le coup de rabot de l’industrie encline à concevoir des produits « mondiaux » (qui, en réalité, ne le sont jamais vraiment car un soda américain bu en Asie porte toujours sa signature culturelle), le retour du local marque comme une revanche de la géographie dont la quête identitaire actuelle est l’une des variations les plus violentes.
cuisines-monde-2015La grande turbulence touristique contribue à la découverte des cultures culinaires étrangères et les migrations de tout un prolétariat des pays en développement se marquent par des impacts sur les nourritures, non seulement consommées, mais aussi proposées comme une expérience d’altérité culturelle. La mondialisation et des formes de banalisation des plats rendent la conquête de leurs origines passionnante, les cycles touristiques se multipliant pour la découverte des cultures alimentaires locales.
Pour la géographie, « cuisines du monde » fait allusion à un dualisme proche/lointain qui a toujours existé. Au Moyen-Age, lorsque les épices – d’origine tropicale – sont inaccessibles, elles sont réservées à la table des princes. Lorsque Venise, les marchands ibériques et hollandais en inondent l’Europe à partir des 13e et 14e siècles, les riches les abandonnent et leur préfèrent les trois boissons tropicales que sont le thé, le café et le chocolat qui restent hors de prix pendant cent cinquante ans avant leur démocratisation au 19e siècle. Aujourd’hui, qu’est-ce que la géographie éloigne encore de nos tables pourtant comblées ? Les produits de l’artisanat de bouche comme les viandes issues de races et d’élevages de qualité, les légumes frais de contre-saison tropicale, les plats nécessitant des produits peu disponibles ou difficiles à manier comme le froid et le chaud simultanés, ou encore les fruits de mer frais confinés aux élevages littoraux qui nécessitent des temps de transport courts. Les terroirs sont des espaces qui cultivent la rareté par leur lenteur à élaborer des produits. Les cuisines maintiennent aussi cette culture : les mandarines qui illuminaient le regard des générations d’après-guerre sont aujourd’hui abondantes, mais les cuisiniers les travaillent en crumble ou en sorbet, selon deux modes étrangères aux Français, le crumble étant une manière anglaise et le sorbet une gourmandise du Moyen-Orient. Les pains d’épices sont devenus banals : qu’à cela ne tienne ! Les revoilà chez les maîtres glaciers qui les incorporent dans la crème glacée.
Ce qu’on appelle Cuisines du monde, c’est notre capacité à voir l’autre, à le regarder comme désirable jusqu’à le manger à table. « La meilleure façon de dire à quelqu’un qu’on l’aime, c’est encore de le manger » aimait à dire Lévi-Strauss. Symboliquement, s’entend. Ainsi, les cuisines du monde sont-elles urgentes à décrypter dans le grand brassage actuel. Pour en tirer le meilleur et éviter le pire que sont les stigmatisations et les interdits qui surgissent où il y a de la méfiance et du doute.

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