Vous connaissez Tours ? Une petite localité urbaine du centre ouest de la France. 140 000 habitants, entre Loire et Cher. Quelques personnalités ont vécu, tel Martin, connu comme le premier saint non martyr de l’Eglise, à qui les tourangeaux ont construit une basilique, aujourd’hui passage obligé des Parisiens sur le chemin de St-Jacques de Compostelle (voie Turonensis). Si Tours a aussi, comme la plupart des villes de bord de Loire, son château, celui-ci, bien que séjour régulier des rois de France, n’est pas des plus célèbres et se fait voler la vedette touristique par les édifices de communes à la taille pourtant beaucoup plus modeste (Chaumont, Amboise, Villandry,…). Tours a vu quelques évènements politiques majeurs, comme la création du Parti communiste (congrès de Tours de 1920), ou encore l’installation éphémère de la présidence de la République en 1940 au château de Cangé à Saint-Avertin (commune frontalière).
Côté gastronomie, Tours rayonne un peu. Patrie, notamment, de Charles Barrier, célèbre restaurateur triple étoilé Michelin (dont le restaurant éponyme, repris par Hervé Lussault, propose encore quelques classiques du maître, décédé en 2009), pape (ou évêque?), avec ses confrères Guérard, Chapel, Senderens et autres, de la nouvelle cuisine dans les années 70, ou de Jacques Puisais, célèbre œnologue, fondateur de l’Institut Français du Goût (aujourd’hui Institut du Goût), Tours est aujourd’hui le siège de l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation, établissement moteur dans l’inscription au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO du “repas gastronomique des Français”. La ville héberge également, au côté de Dijon, Lyon et Paris-Rungis, une des 4 cités de la gastronomie, fraichement installée dans une somptueuse villa positionnée en plein cœur de la ville, à proximité des halles.
Mais tout cela est finalement assez anecdotique face à l’évènement gastronomique majeur qui vient de se produire, et fait enfin rentrer Tours dans la cour des agglomérations dignes de ce nom: l’installation, à quelques encablures de la villa Rabelais, du premier Starbucks de la ville. 12 ans après la première ouverture de la marque en France à Paris (ville qui peut s’enorgueillir de sa suprématie nationale avec pas moins de 50 boutiques à ce jour), la plus grande chaine mondiale de salons de café daigne enfin poser ses gobelets en carton à Tours. Et l’évènement était manifestement attendu, car c’est plusieurs centaines de personnes qui se sont amassées et ont bravement affronté le froid hivernal tourangeaux dès 5h du matin pour avoir le privilège de déguster en avant-première le subtil breuvage noirâtre que l’on y sert par litres.
Ainsi, après l’implantation (non sans quelques tentatives de résistance d’une partie de la population locale) il y a quelques mois du premier restaurant McDonald dans le vieux Tours (un autre établissement ayant déjà ouvert à proximité de la gare), aujourd’hui, à Tours, on peut enfin faire “comme à New-York”, et ça, ça vaut bien le risque de choper une bonne petite crève.
Rabelais doit se retourner dans sa tombe.
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB.