Plutôt crus ou cuits, vos tardigrades ?

Water bear (Paramacrobiotus craterlaki) in moss. Color enhanced scanning electron micrograph (SEM) of a water bear in its active state. Water bears (or tardigrades) are tiny invertebrates that live in aquatic and semi-aquatic habitats such as lichen and damp moss. They require water to obtain oxygen by gas exchange. In dry conditions, they can enter a cryptobiotic state of desiccation, known as a tun, to survive. In this state, water bears can survive for up to a decade. P. craterlaki is a carnivorous species that feeds on nematodes and rotifers. This specimen originated from moss samples in Crater Lake, Kenya. Water bears are found throughout the world, including regions of extreme temperature, such as hot springs, and extreme pressure, such as deep underwater. They can also survive high levels of radiation and the vacuum of space. Magnification: x333 when printed 10cm wide..

“Savez-vous vraiment ce que vous mangez ?” Derrière cette accroche lue et relue dans les titres de magazines pour consommateurs anxieux ou de livres “d’investigation” qui se vendent dans les gares, se cache une question qui est sans doute encore bien plus vertigineuse que l’on ne pourrait l’imaginer. En tous cas, la réponse a le mérite d’être sans appel: “NON”. Entendez par là “non, nous ne savons pas – et ne saurons sans doute jamais – TOUT ce que nous mangeons”.

Bien sûr, les étiquettes sont là pour informer et déroulent pour nous le catalogue de ce que nous allons ingurgiter. La valeur nutritionnelle, d’une part: valeur énergétique (les calories), matières grasses (dont le taux d’acides gras saturés), les glucides (dont le taux de sucre), les protéines, le sel. Et la liste des ingrédients, d’autre part, avec éventuellement son lot d’additifs variés et, à ne surtout pas oublier, les fameuses “traces éventuelles de” (gluten, œuf, crustacé, arachide, soja, lait, fruits à coque, céleri, moutarde, sésame, etc.). Le contenu de ces étiquettes est d’ailleurs régulièrement l’enjeu de débats publiques, tant les consommateurs ont aujourd’hui conscience de l’importance de leur alimentation.

Il y a cependant tout un pan de ce que nous avalons qui est totalement absent de ces étiquettes, réservées aux aliments transformés. Car nous mangeons également… notre environnement! Saviez-vous par exemple que vous avaliez régulièrement des tardigrades, ou encore oursons d’eau (“water bear” en anglais)? Rien à voir avec la progéniture du sympathique plantigrade dont nous avons précédemment discuté le régime alimentaire ou encore les divers moyens d’accommodation en cuisine. Non, il s’agit là d’un extrêmophile d’environ 1mm, aux propriétés étonnantes, capable notamment de survivre dans le vide, de résister aux températures les plus extrêmes (froides comme chaudes), et que l’on trouve donc un peu partout, aussi bien dans les profondeurs des océans qu’au sommet de nos plus hautes montagnes. Bref, une sorte d’animal indestructible, qui fascine les scientifiques depuis plusieurs années et ouvrent la voie à tous les fantasmes dignes de scénarios de science-fiction hollywoodiens.

Ces animaux étant potentiellement présents partout, vous en avez sûrement déjà avalé quelques-uns, que ce soit sur la dernière feuille de laitue qui accompagnait votre fromage ou dans le verre d’eau que vous avez bu avant d’aller vous coucher. Et comme ils sont plutôt résistants, il est probable que, même “cuisinés”, vous les avaliez souvent vivants. Mais tout cela est sans conséquence (exceptée éventuellement psychologique). D’abord, l’animal n’est pas connu pour infecter l’homme. Ensuite, aussi résistant qu’il soit aux températures extrêmes, il est plus que probable que le milieu acide de notre estomac puis le système immunitaire de nos intestins aient raison de lui, nous donnant un petit surplus de nutriments au passage.

Bien sûr, notre consommation de tardigrade est totalement anecdotique dans notre régime alimentaire, et cet exemple n’est là que pour illustrer notre méconnaissance du monde microscopique qui nous entoure, avec lequel nous cohabitons, et que, parfois, nous ingérons et respirons. La pléthore de bactéries, virus, champignons et autres micro-organismes que nous consommons et qui vivent en bonne entente (le plus souvent) avec nous constitue un sujet fascinant et autrement plus conséquent pour notre métabolisme que la consommation inopinée de ces sympathiques oursons d’eau. Nous y reviendrons prochainement.

Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB.

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