Le réchauffement des océans… dans un verre d’eau !

Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France” disait  Sully, conseiller d’Henri IV.  On peut en ajouter une troisième, la pêche. Les produits ou “fruits” de la mer (pêche et aquaculture) sont aujourd’hui sérieusement menacés par le changement climatique et la surpêche, rendant urgente une prise de conscience des consommateurs, seaweb_europe_logopouvoirs publics et professionnels du secteur. C’est la tâche à laquelle s’est notamment attelée  SeaWeb Europe organisation environnementale qui œuvre pour la préservation des océans et des ressources halieutiques.

Les océans sont au cœur du drame du réchauffement climatique. Acteur dans le scénario, car la masse d’eau qu’ils contiennent joue un rôle d’emmagasineur de chaleur et de gaz carbonique qui limite le réchauffement de l’atmosphère et la quantité de gaz à effet de serre (naturellement présent dans l’atmosphère en très petite quantité, le CO2 est à lui seul responsable d’environ 25% de l’effet de serre). Victime, car cette double capture entraîne le réchauffement des océans eux-mêmes, et la montée des eaux par dilatation, mais aussi leur acidification, par dissolution du gaz carbonique.

mo_coral_bleach_fiji_5065L’acidification a des effets déjà bien visibles, notamment sur les coraux et coquillages, dont la calcification est fragilisée. Cette attaque acide est facilement visualisable à la maison: il suffit de mettre un œuf (dont la coquille est principalement composée de carbonate de calcium, comme les huîtres, moules et autres coquillages) dans un verre rempli de vinaigre: ce dernier “attaque” rapidement la coquille, entrainant un dégagement de gaz carbonique (des bulles se forment à la surface de l’œuf).  Si l’on attend suffisamment longtemps (24h), toute la coquille aura disparu…

Et côté chaleur? Les variations de la biomasse des organismes marins sont notamment liées à la température de l’eau. Avec l’augmentation de la température des océans, de nombreuses espèces de poissons remontent vers les verrepôles. Pour retrouver un peu de fraîcheur ? Pas vraiment : plutôt pour retrouver un peu… d’air !   Et oui, les conséquences du réchauffement sont subtiles. Une expérience simple à réaliser permet de s’en rendre compte : il suffit de remplir deux verres en plastique avec de l’eau du robinet ; un verre est laissé à température ambiante (à gauche sur la photo), l’autre est passé quelques secondes au four à micro-onde pour tiédir l’eau (à droite sur la photo).

Après quelques instants (image du bas), le verre de gauche s’est légèrement réchauffé au contact de l’air ambiant et quelques petites bulles se sont déposées à sa surface; à droite, on remarque une quantité beaucoup plus importante de bulles. Ces bulles témoignent de l’échappement des gaz dissous, dont l’oxygène essentiel à la survie des poissons ; ces derniers “respirent” en absorbant, grâce à leurs branchies, l’oxygène dissous dans l’eau : plus le réchauffement est important, plus l’eau se dégaze… et moins les poissons respirent !

Ce phénomène de désoxygénation est encore plus spectaculaire dans les zones fermées (lacs, rivières… ou aquarium !), d’où les poissons ne peuvent s’échapper.  La canicule de 2003 a ainsi brutalement causé la mort de la population d’ombres communs dans le Rhin en aval du lac de Constance.  Ces poissons, que l’on retrouvait le ventre en l’air, ne poisson-asphyxiesont pas morts de chaud… mais d’asphyxie.  Le scénario est encore plus brutal en cas d’eutrophisation du milieu aquatique, quand la perte d’oxygène est exacerbée par la prolifération d’algues et bactéries, qui consomment tout l’oxygène dans l’eau, empêchant les autres êtres vivants de respirer.

Moralité : la prochaine fois que vous piquerez une tête dans l’eau et que vous la trouverez un peu fraîche à votre goût, pensez que c’est un moindre mal.

 

Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB avec Gilles Fumey et Richard C. Delerins.

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