Depuis les premières traces d’élevage agricole en Mésopotamie vers – 9000, l’homme a sélectionné des espèces, plus ou moins enclines à la domestication, afin de tirer avantage de leurs particularités, tant pour l’alimentation que pour l’aide qu’ils pouvaient leur apporter au quotidien. On voit ainsi des races se dessiner : plus dociles, plus fortes pour la traction, plus musclées pour la viande. Les animaux de ferme tels que nous les connaissons aujourd’hui sont très différents de leurs ancêtres sauvages.
La sélection agricole se fonde sur des critères presque opposés à ceux de la sélection naturelle. Ainsi, loin d’être adaptés à la vie dans la nature, ils sont adaptés à la vie avec l’humain et à la rentabilisation de leur organisme avant et après l’abattage. De générations en générations, les gènes portant ces caractères avantageux pour l’agriculture se sont imposés dans les populations d’animaux domestiques conduisant à des morphologies spectaculaires.
Au cours du XIXème siècle, des croisements de vaches franco-belges avec des taureaux importés d’Angleterre ont permis de révéler des spécimens à la musculature particulièrement développée. La sélection successive des mâles et femelles de cette nouvelle variété de vaches à viande conduira à la race identifiée sous le nom de Blanc Bleu Belge, reconnaissable entre milles à la taille de ses pectoraux protubérants. Le fessier de la femelle est si hypertrophié qu’elle est incapable de mettre bas sans l’intervention du vétérinaire pour pratiquer une césarienne. Depuis la fin du XXème siècle et l’avènement de la génétique, on s’intéresse à l’origine moléculaire de ces transformations impressionnantes. On découvre alors en provoquant une mutation chez la souris que la musculature de ces bovins est due à la perte de fonction d’une protéine nommée « myostatine » reconnue dès lors pour provoquer l’arrêt de la croissance des muscles. De cette manière, empêcher l’effet de la myostatine en bloquant le gène qui la produit induit une croissance musculaire potentiellement sans limite : une aubaine sans précédent pour l’industrie de la viande.
Aujourd’hui l’ingénierie génétique permet de s’abstraire d’années de dure sélection en insérant des modifications génétiques directement dans les embryons animaux, avant de les réimplanter chez une mère porteuse. Le système de modification génétique CRISPR/Cas9, décrit par beaucoup comme révolutionnaire, permet de découper des gènes plus aisément que jamais, et la myostatine fait partie de ces gènes dont on préfère se passer. En moins de deux ans, de très nombreuses publications ont témoigné de la simplicité d’utilisation de ce nouvel outil. En effet, il a récemment dispensé l’attente laborieuse de l’apparition d’une mutation dans la myostatine du porc, du lapin, la chèvre, le mouton, mais aussi chez la carpe. La grande productivité des chercheurs est le signe probable d’un important intérêt financier à produire des animaux sans myostatine.
En revanche, la capacité de ce système d’édition du génome qui autorise des altérations artificielles sous prétexte qu’elles sont un jour apparues naturellement, pose la question fondamentale de savoir si être « naturel » signifie également être « éthique » ou « sain » ?
Karen Uriot est chercheuse en génomique et membre du Food 2.0 LAB.