Le soleil chauffe, le rosé coule, le poisson grille, les corps bougent (ou pas), les cerveaux sommeillent (ou pas). Et les questions essentielles ne manquent pas de surgir au moment de préparer le repas: faut-il que je sale l’eau de cuisson des crabes pour accélérer l’ébullition? Est-ce bien raisonnable de manger des huîtres à cette période? Ne suis-je- pas en train d’intoxiquer ma famille avec ces côtelettes grillées au barbecue? Pourquoi mon tzatziki est-il aussi amer? Reconnectons quelques neurones le temps de cuisiner, avant de repasser en mode oisif, les pieds sous la table et les coudes en dehors.
Manger des huîtres en été ?
Quoi ? Comment ça ? Des huîtres au mois d’août, alors que ce n’est même pas un mois en « r »? L’habitude veut en effet que nous consommions les huîtres de septembre à avril (avec un fort pic à Noël, tradition oblige), les fameux « mois en r », l’huître ayant tendance à être laiteuse le reste de l’année (de mai à août, et donc en plein été notamment), période de reproduction où elle produit sa semence. Mais ça, c’était avant. En effet, il n’a pas fallu longtemps au génie agro-commercial pour trouver le moyen de nous fournir des huîtres non laiteuses toute l’année: voici donc l’huître triploïde, avec ses trois exemplaires de chromosomes, au lieu de deux dans l’huître « normale ». Evidemment, cette modification la rend stérile; d’où l’absence de laitance : Bingo !
Mais, me direz-vous, comment obtient-on de tels monstres ? C’est arithmétique: il suffit de croiser un mâle tétraploïde avec une femelle diploïde, et hop, le tour est joué. Oui, mais le super-mâle tétraploïde, on le trouve où? Là encore, il suffit d’une petite manipulation génétique, dont l’IFREMER a le secret. Manipulation génétique ? On nous sert donc des plateaux d’OGM à notre insu ? Non, car l’huître triploïde a été modifiée chromosomiquement sans apport de gène étranger, elle n’est donc pas un OGM au sens juridique. Notons au passage que le recours à des hybrides triploïdes est déjà utilisé dans de nombreuses filières végétales et animales (agrumes, céréales, truites …) afin d’obtenir des produits de meilleure qualité, et cela sans que le consommateur n’en soit informé.
D’un point de vue pratique, produire des huîtres triploïdes suppose de faire subir un petit choc thermique, dans une eau à 27°C, au super-mâle tétraploïde pour lui faire libérer sa semence; qui va ensuite féconder plusieurs millions d’œufs pondus par une vingtaine de femelles diploïdes. On cultive tout cela en pleine mer pendant deux ans (au lieu de trois pour les huîtres diploïdes; et oui, c’est le double effet triploïde: non seulement les huîtres ne sont pas laiteuses, mais en plus, l’énergie qu’elles ne dépensent pas à se reproduire leur permet de grossir plus vite).
Le danger dans l’histoire ? Il n’est pas pour le consommateur, en tous cas pas à court terme, les huîtres triploïdes ne présentant aucun problème à la consommation. La question est plutôt écologique, avec notamment quelques suspicions sur la fragilité des huîtres ainsi obtenues et, plus inquiétant, sur la possible dissémination en milieu naturel de l’espèce triploïde (sa « stérilité » étant toute relative), avec des conséquences potentiellement désastreuses sur la biodiversité de l’espèce.
En attendant d’en savoir plus, le consommateur inquiet pourra toujours se tourner vers les producteurs qui affichent ouvertement leur opposition aux huîtres « biotechnologisées » et promeuvent « l’huître née en mer », diploïde… en tous cas jusqu’à présent…
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB avec Gilles Fumey et Richard C. Delerins.