Boire ou croquer, il faut choisir !

Placardée en 2×3 m sur le côté d’un camion qui livre les repas d’une cantine scolaire, une affiche publicitaire clame “Comme les enfants ne trouvent pas très drôle de manger des fruits, ils les boivent».  S’il semble à première vue tout à fait louable de trouver des subterfuges pour faire manger plus de fruits aux enfants, il n’en reste pas moins essentiel de se demander si boire (un jus) ou croquer un fruit est réellement la même chose. Et si non, quelle différence fondamentale existe entre les deux modes de consommation ? Cette question est complexe (comme tout ce qui touche à la nutrition d’ailleurs) et concerne plus généralement l’influence de la structure des aliments sur leur impact nutritionnel. Loin de nous l’idée de faire ici le tour de la question ; tâchons simplement de donner quelques pistes pour nourrir… notre réflexion.

Les français sont de très gros consommateurs de jus de fruits : la consommation globale sur l’hexagone s’élève à 25 litres par an et par habitant, avec une préférence pour les purs jus (au détriment des jus à base de concentré et des nectars) qui représentent près de la moitié des volumes vendus sur le marché. Tout simplement issus des fruits, les purs jus présentent d’indéniables qualités nutritionnelles, dont des apports conséquents en minéraux, vitamines et antioxydants, autant d’éléments essentiels au bon fonctionnement de notre organisme. Mais ils apportent aussi du sucre, beaucoup de sucre (jusqu’à 160g/L pour un pur jus de raisin).

“La teneur et la composition en sucres des jus de fruits sont similaires à celles des fruits dont ils sont issus” nous rappelle à longueur de messages “pédagogiques” l’Union Nationale Interprofessionnelle des Jus de fruits. Certes, mais les jus de fruits n’ont pas pour autant le même effet que les fruits entiers. Des chercheurs de l’université Harvard ont observé qu’une forte consommation de jus de fruit augmentait le risque de diabète là où une consommation équivalente en fruits entiers diminuait au contraire d’autant ce risque. Ces observations peuvent s’expliquer par le fait que, par rapport aux fruits, les jus de fruits sont rapidement digérés: ils ont donc un index glycémique plus élevé que les fruits entiers, qui contiennent beaucoup de fibres. Manger les fruits permet donc d’éviter un pic de sucre dans le sang et rassasie; au contraire, boire leur jus fait grimper le taux de glycémie et ne coupe pas la faim. En outre, les jus de fruits ne contenant plus de fibres alimentaires, ils ne présentent pas d’effets positifs sur le transit. Une partie des antioxydants et vitamines est également perdue lors de la transformation en jus, mais ces derniers en contenant encore une quantité intéressante, cela reste un moindre mal.

A défaut de manger le fruit entier, une solution intermédiaire, à la mode depuis quelques années, consiste à boire des “smoothies”, où les fruits sont mixés entiers (et si possible consommés rapidement). Il n’en reste pas moins que, même si on a alors l’impression de “manger la même chose”, un smoothie n’est pas l’équivalent du fruit entier. Comme le rappellent les auteurs d’un ouvrage consacré à l’influence de la structure des aliments sur leurs effets nutritionnels, un aliment n’est pas la seule somme de ses nutriments mais une matrice structurée qui contribue à ses effets métaboliques et santé, soulignant ainsi que la nutrition qui ne prend pas en compte les caractéristiques physico-chimiques des aliments n’est que peu pertinente. Ainsi, une pomme est différente d’une pomme mixée. Ce passage d’une nutrition quantitative “classique” (aliment = somme de nutriments) à une nutrition qualitative (aliment = matrice complexe dont la structure conditionne la cinétique de libération des nutriments et donc la valeur santé réelle) est un des grands enjeux scientifique en nutrition humaine aujourd’hui.

Restons cependant positifs sur ces initiatives “pro- (jus de) fruits” dans les cantines. De nombreuses études ont prouvé le bienfait de la consommation de purs jus quant à l’apport effectif en nutriments essentiels. En outre, la dernière étude des Comportements et consommations alimentaires des français (CCAF 2013) publiée par le CREDOC montre que les consommateurs de jus de fruits consomment autant ou plus de fruits et légumes frais que la moyenne des français, leur permettant de tendre plus facilement vers l’objectif des 5 fruits et légumes par jour fixé par le Plan National Nutrition Santé (PNNS). Ainsi, même si manger un fruit ou boire son jus n’ont pas les mêmes effets nutritionnels, on peut bien sûr continuer à apprécier les jus de fruits… l’idée étant de consommer plus de fruits entiers que de jus de fruits !

 

Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB. Il a récemment publié “Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef !” (Flammarion).

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