Un récent documentaire, nous invite avec entrain et non sans malice à mieux comprendre, de l’intérieur, le phénomène des épiceries et supermarchés coopératifs qui, depuis quelques années, saisit nos grandes villes. « Food Coop » du réalisateur américain (vivant à Paris) Tom Boothe nous propose d’aller à la rencontre des membres de Park Slope Food Coop, une coopérative alimentaire pionnière, créée en 1973 à Brooklyn, dans un quartier défavorisé (du moins à l’origine) et qui influence nombre d’actuelles initiatives.
Le film explore les valeurs et le projet qui ont inspiré ce magasin lancé dans le contexte des mouvements de contre culture et dont les membres (actuellement plus de 16 000 actifs) paient leur cotisation via des « heures travaillées » (près de trois heures mensuelles) mais il questionne aussi son fonctionnement, son organisation au quotidien et les clés de son succès. Parmi elles : la vente de produits alimentaires frais, de qualité, issus en grande partie des circuits courts (producteurs locaux) et à des prix imbattables (tout en faisant un chiffre d’affaires par mètre carré « 10 fois supérieur à la moyenne » et en vendant son stock entier « 70 fois par an alors que la moyenne est de 15») ; mais aussi la solidarité, l’esprit ouvertement alternatif et l’ambiance «différente», communautaire et conviviale.
Depuis sa création, cette expérience sociale et citoyenne a fait couler beaucoup d’encre : parce qu’elle a « aussi » accompagné la gentrification de Brooklyn, parce que son modèle démocratique (autour de commissions thématiques et d’une disponibilité parfois contraignante) a pu s’épuiser au fil du temps (dans les années 80-90, la coopérative comptait jusqu’à 66 000 membres) et parce que le bénévolat tend à s’y substituer à l’emploi. En cela le documentaire, même s’il aborde ces écueils et limites, reste relativement partisan.
Ce type de coopérative autogérée, luttant contre la malbouffe et pour les circuits courts, contre l’exclusion sociale et pour une alternative économique au modèle de la grande distribution, n’est donc pas nouveau mais il connaît actuellement un franc succès en France (… où, faut-il le rappeler, des coopératives de consommateurs ont été créées dès la fin du 19ème siècle).
Initiatives Françaises : mimétisme et émancipation…
Ainsi l’ouverture de La Louve dans le 18ème arrondissement (entre Simplon et Marcadet Poissonnière, quartier de la Goutte d’Or) marque t’il l’actualité médiatique… sans que cela soit en fait un hasard : ce supermarché coopératif (à but non lucratif et géré par ses membres) s’auto-promeut (un peu rapidement) « 1er supermarché coopératif participatif de Paris ». L’autogestion commerciale est au cœur de son projet : pour pouvoir acheter des produits à prix réduits, « vous devrez travailler à hauteur de 3 heures toutes les quatre semaines » (en tenant la caisse, gérant les stocks, assurant les tâches administratives, assumant le nettoyage, etc.). Mais ici, outre les donateurs particuliers, des entreprises et des fondations ayant pignon sur rue, des institutions se voulant innovantes se sont impliquées financièrement dès l’amont du lancement: La Banque Postale, La Fondation Macif, France active, la Caisse des dépôts mais aussi la Mairie de Paris ont ainsi joué le jeu.
Et sans doute en sera-t-il de même pour les futures Food coops françaises influencées par ce modèle de la Food Coop new yorkaise : en effet, aux récentes initiatives identifiées (La Chouette de Toulouse, La Cagette de Montpellier, La Meute du Pays de Grasse, L’éléfan de Grenoble, Scopéli de Nantes, Supercoop de Bordeaux, etc.) vont s’ajouter en 2017 : SuperQuinquin, un supermarché « coopératif et participatif » à Lille ; l’association Orléanaise Sur le Chemin Dépaysant communique actuellement sur un semblable projet, etc. Un engouement donc, confirmé par d’autres initiatives européennes (comme La BeesCoop à Bruxelles) qui se relient progressivement pour défendre à une échelle élargie les valeurs de l’économie parallèle et partagée.
Un modèle en devenir
Certes la couverture médiatique du lancement de La Louve est liée à l’initiative américaine puisque Tom Boothe et l’un de ses amis, Brian Horihan,… en sont à l’initiative. Mais pour autant, l’attention s’attise, l’activisme s’intensifie et ces coopératives, qui soutiennent le développement d’une alimentation durable et d’une agriculture de proximité, deviennent elles-mêmes des lieux de réflexion et de débat, tant sur la participation, l’économie sociale et solidaire que sur la diversification des expériences coopératives – en s’inscrivant donc à la fois dans des réseaux marchands et publics de proximité et dans des réseaux internationaux. Le temps nous dira si les membres tiendront bien leurs promesses et si cette volonté de revitaliser les solidarités (de voisinage et celles de plus longue distance) participera véritablement à une durable remise en question de la grande distribution.
Donc, un concept de « supermarché collaboratif » à consolider au fil d’études au long court et au plus proche de ces expériences.
Dominique Pagès est membre du Food 2.0 Lab et enseignante au CELSA-GRIPIC, Paris Sorbonne.