Les fromages influencent-ils le goût du vin ? Les vins mettent-ils en valeur les qualités gustatives des fromages ? Nous l’avons vu précedemment (La “science” des accords mets-vins), les bases scientifiques – sur des critères chimiques et physiologiques – des accords mets-vins sont difficiles à établir. Ce qui rend a priori vaine la quête d’un accord “parfait” et universel. La science a néanmoins son mot à dire, notamment dans un domaine qui a fait l’objet de nombreux travaux récents : celui des accords mets-fromages. C’est ce que nous allons voir ici.
Le fromage influence t-il notre perception du goût du vin et réciproquement ? De nombreuses études le soulignent. Des chercheurs de l’Université de Dijon ont récemment montré que chaque fromage influençait de manière distincte la perception des notes aromatiques des vins : en testant les 16 combinaisons de 4 vins (Pacherenc, Sancerre, Bourgogne et Madiran) avec 4 fromages (Epoisses, Comté, Roquefort, Crottin de Chavignol) sur un panel de 31 dégustateurs. Le roquefort, par exemple, semble exacerber les arômes de fruit rouge des vins de Bourgogne, en même temps qu’il diminue son astringence, probablement en raison d’une synergie entre gras et tannins. Réciproquement, les saveurs salées et acides du Roquefort semblent moins prononcées après avoir bu un vin blanc sec. Bien souvent aussi, ce type d’analyse montre la grande variété de perception parmi les dégustateurs – ce qui en limite la portée générale.
Le vin influence le goût du fromage et le fromage influence le goût du vin. C’est aussi ce que confirme une étude plus spécifique centrée sur l’accord entre un cheddar et des vins monocépages issus de Syrah, dans laquelle des chercheurs australiens ont montré que la consommation de cheddar avant de déguster le vin entrainait une diminution de l’astringence et de la longueur en bouche de ce dernier. Ces résultats sont cohérents avec les interactions connues entre le gras des aliments et le tannin des vins, ainsi que l’influence du milieu buccal sur l’adsorption et le relargage progressif des composés aromatiques volatils.
En pratique, quelle stratégie adopter pour proposer des accords entre fromage et vin ? L’un des experts anglo-saxons les plus reconnus, Max McCalman, résume la situation : “Plus je goûte de combinaisons de fromage et de vin, moins je me sens soumis aux règles d’appariement de ces fromages et vins. C’est un peu plus excitant d’expérimenter les combinaisons que de suivre les accords recommandés. La probabilité de trouver une incompatibilité entre le vin et le fromage est moindre que vous ne le pensez” (Cheese Connoisseur, Summer 2010, p.28-33). Laissons de côté tout académisme pour faire confiance à nos sens, sans nous priver d’aller chercher au-delà de la sphère vinicole : bières, cidres ou spiritueux mériteraient d’être plus souvent proposés tant ils peuvent enrichir et diversifier l’offre à même de satisfaire ou de surprendre (agréablement !) les consommateurs.
Enfin, s’il est possible de marier d’une belle manière vin et fromage, cela n’est pas le cas avec la vinaigrette, dont l’acidité “casse” souvent le vin : servir une salade assaisonnée avec le fromage est une habitude qu’il serait temps d’abolir, tout du moins pour ceux qui souhaitent profiter de leur vin jusqu’à la fin du repas !
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB. Il a récemment publié « Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef! » (Flammarion).
Pour aller plus loin : Christophe Lavelle, “Associations mets-vins : accords … et désaccords”, in Les Accords mets-vins, sous la direction de Jean-Robert Pitte, CNRS Editions, 2017.