Ce film, à la fois crépusculaire et d’une vitalité feutrée, se déroule le temps d’une soirée et d’un repas du nouvel an dans la bonne société de Dublin du début du 20ème siècle, en 1904. Un repas convivial rythmé par des chants et des danses, par des histoires et des conversations. Très subtilement (voire implicitement), il nous amène à penser non seulement une ville, une société et leur délicate décadence mais aussi à deviner les retrouvailles d’un grand réalisateur avec ses origines: l’irlandais John Huston est mort en 1987 à l’âge de 81 ans et ce film (le 37ème) est son dernier.
Tiré d’une simple nouvelle de James Joyce (Les Morts), il oscille constamment entre les plaisirs agréables de la vie et la mélancolie, pleine de retenue, celle du souvenir d’un amour perdu, celle du pressentiment funèbre de la mort. La longue scène du repas (encadrée par celles des danses, des lectures et des chants) est l’occasion pour le réalisateur de réactiver les rites, les coutumes, les valeurs d’une époque; mais ce banquet (on fête l’Epiphanie), certes élégant, hospitalier et chaleureux (oie, boeuf aux épices, vins et alcools sont en abondance), est aussi une fenêtre ouverte sur le tombeau familial, un singulier dialogue entre la vie et la mort.
Ce repas est en cela emblématique de la condition humaine, en sursis, cherchant un équilibre éphémère entre nécessité de l’illusion et fulgurances de la désillusion. Les Gens de Dublin nous invite ainsi à repenser la place des rites alimentaires dans les grands moments de la vie des hommes et dans la vie d’un homme: un rite à respecter, une échéance à tenir, une aire de jeu où le vivant et sa finitude se côtoient, et néanmoins une fidélité envers et contre tout à l’existence.
par Dominique Pagès
Les Gens de Dublin est presenté dans le cadre du cycle de films “Manger !” organisé actuellement a Paris au Forum des images du 2 mars au 4 avril 2016.