Chaque début d’année, les excès de nourriture et d’alcool participent traditionnellement des bonnes résolutions : Bouger plus ? Boire moins ? Mieux manger ? Réduire son impact sur la planète ? Les intentions sont louables et les solutions foisonnantes. Lecteurs du Food 2.0 LAB, vous n’êtes pas sans savoir que les deux thématiques #alimentationsaine et #protectiondelenvironnement agitent la FoodTech comme le contenu de nos futures assiettes.
Pour synchroniser ces deux défis, des entreprises françaises se sont creusés les méninges et ont déterré des termites pour nous les servir sur un plateau, faisant ainsi leur trou dans le milieu de la “gastronomie entomophage” : Insectéo: « Insectes comestibles pour l’apéritif et à cuisiner » ; Kinjao: « Première gamme de nutrition sportive à base de farines d’insectes comestibles » ; Entomo Farm: « Changer l’alimentation animale avec l’insecte » ; Ynsect: « Utiliser l’insecte pour changer le monde » ; Micronutris: « Créateur d’alimentation durable » ; ou encore Jimini’s: « Think biger, eat smaller ».
Cette liste, non exhaustive, est amenée à s’allonger tant la petite bête monte. On estime que les insectes font déjà partie des repas traditionnels de 2 milliards d’êtres humains avec plus de 1900 espèces comestibles. En Occident, ils tissent lentement leur toile entre l’apéritif et le dessert : généralement transformés en farine pour être incorporés aux plats, ils peuvent également être servis tels quels. Remarquons qu’au royaume des amuse-bouches écolos, la sauterelle est reine : tous les espoirs sont permis dans un monde ou l’on peut passer du statut de 8ième plaie d’Egypte à celui de messie.
En effet, les qualités nutritionnelles des insectes sont abondamment vantées par la FAO qui travaille sur le sujet depuis 2003. Elle précise qu’ils sont riches en protéines de haute qualité, c’est-à-dire contenant les acides aminés nécessaires au bon fonctionnement du corps humain. Surtout, ils ont un meilleur taux de conversion de la matière première. Par exemple, les criquets se reproduisant très rapidement requièrent six fois moins de nourriture que les bovins pour produire la même quantité de protéines assimilables. Ainsi, leur élevage est une solution à de nombreux problèmes environnementaux puisqu’il est moins demandeur en eau, rejette beaucoup moins de gaz à effet de serre mais aussi parce que les insectes peuvent croître sur de la manière organique considérée jusque là comme un déchet. Le grillon, voie/x de la sagesse pour Pinocchio, pourrait bien remettre l’homo occidentalis sur le droit chemin …
Effectivement, nous sommes totalement à l’Ouest. Notre répugnance pour les insectes n’a d’égal que notre snobisme envers ceux qui les considèrent comme un met de qualité. Dans le rapport de « Insectes comestibles: Perspectives pour la sécurité alimentaire et l’alimentation animale » publié en 2014 par la FAO, l’entomologiste Florence V. Dunkel relate deux anecdotes criantes. Depuis des siècles les Européens ne se nourrissent plus que de produits encadrés par la pratique de l’agriculture : les insectes, aliment primitif, sont considérés comme nuisibles pour les récoltes et vecteurs de maladies, doivent être éliminés. Lors de la conquête de l’Amérique à la fin du XIXème siècle, des colons tentèrent de cultiver leurs champs sur les terres de l’actuel Utah mais ceux-ci furent détruits par des attaques de sauterelles et des précipitations trop faibles. Risquant la famine, ils demandèrent de l’aide à une tribu d’autochtones, les Utes, qui leurs préparèrent leur plat traditionnel riche en protéines, joliment nommé « gâteau de la prairie ». Les colons blancs s’en délectèrent tout l’hiver et furent sauvés. Plus tard, découvrant que l’un des ingrédients principaux du gâteau était en fait une sauterelle, ils refusèrent définitivement d’en consommer un de plus.
Autre exemple plus récent, au Mali, où les enfants chassaient une sauterelle résidant dans les champs de coton afin de s’en faire un délicieux amuse-bouche. A partir de 2010, des conseillers agronomes occidentaux préconisèrent que les insectes soient éliminés par le biais de pesticides, sans tenir compte de l’apport nutritif qu’ils représentaient pour les enfants à qui il fût dès lors interdit de s’approcher des champs de coton. Des données récentes ont mis en évidence que 23% de ces enfants étaient à présent en danger de malnutrition.
Si vous êtes de ceux qui grimacent devant un plat de grillons grillés, demandez-vous pourquoi les crevettes ne vous font pas le même effet alors que ces deux bestioles sont toutes deux des arthropodes, à savoir des invertébrés à la chair protéinée (pour le fondant) et portant un exosquelette (pour le croquant). Cela dit, la classification zoologique est rarement un critère de choix, sans quoi nous produirions nos viandes très différemment ! Mais ceci est une autre histoire.
Mais revenons à nos moucherons. Nous français, ne sommes pas les mieux placés pour décider de ce qui est appétissant de ce qui ne l’est pas. Au contraire, nous sommes connus dans le monde entier pour nos goûts surprenants : fromages moisis, escargots baveux, cuisses de grenouilles, huîtres gluantes … Comment notre cerveau gaulois peut-il apprécier ces choses qui révulsent tant les autres ? Dans le règne animal, le dégoût est étonnamment l’une des émotions les plus salvatrices. En effet, au cours de l’évolution, elle a permis d’éloigner les individus de ce qui pouvait nuire à leur santé.
Pour mieux comprendre, des neuroscientifiques se sont intéressé au dégoût que certaines personnes ressentaient envers le fromage et ont fait une découverte contre-intuitive : ils ont remarqué par que la vue ou odeur du fromage activait, chez ces personnes pourtant écœurées, des zones du cerveau ordinairement associées au plaisir. L’effet positif du dégoût proviendrait du fait qu’il provoque un sentiment de récompense, une sorte de « plaisir de fuir ». Pourquoi certaines personnes plus que d’autres ?
L’explication serait d’abord culturelle : si un enfant n’est pas initié à la dégustation du fromage par ses parents, s’ils en sont eux-mêmes dégoûtés, ses neurones s’organiseront en faveur d’une réaction de dégout. Elle pourrait également être épigénétique, à savoir que l’expression de certains gènes responsables du développement des circuits neuronaux pourrait avoir été influencée par des risques liés à la consommation de certains aliments. Les hypothèses sont nombreuses et les champs d’étude très vastes. En attendant, il y a fort à parier que l’aspect lucratif de cette nouvelle tendance insectivore nous fera vite oublier nos petits “haut-le-cœur”.
Karen Uriot est chercheuse en génomique et membre du Food 2.0 LAB
L’Atlas de l’Alimentation est en cours de réalisation et sera publié en 2017 aux Editions du CNRS.