L’essor récent de la consommation du café en Asie (notamment en Chine et Corée du sud) éclaire les changements profonds qui apparaissent au sein des sociétés asiatiques confrontées à la globalisation des économies, de la médecine, des représentations du corps, et plus généralement des styles de vie …
Le café est un “marqueur” de l’évolution des modes de sociabilité, des comportements de consommation alimentaire et des pratiques de santé au sein d’une culture. En règle générale, l’arrivée du café et l’essor de sa consommation au sein d’une société, introduit du jeu dans les déterminants des systèmes symboliques gouvernant les consommations associées aux aliments et aux boissons.
Le café institutionnalise de nouveaux modes et lieux de sociabilité, remodèle la place des genres, construit de nouveaux rituels de consommation alimentaire et de nouvelles pratiques de santé. La consommation du café est aussi un marqueur de l’identité et du changement des cultures alimentaires. Ce fut le cas tout au long de l’histoire de la mondialisation du café : du monde arabo-musulman à l’Europe puis à l’Amérique et à l’Afrique.
Les deux volets du programme de recherche :
1- Caractériser les changements et les valeurs qui sont attachées aux transformations durables et en cours des sociétés chinoise et coréenne : transformations des positions sociales, de la place des genres, des cultures alimentaires au niveau individuel, familial ou à l’échelle nationale. Parce que le café est un instrument de mesure des changements sociaux.
2- Replacer l’histoire du café et de sa consommation dans une histoire globale – faite d’échanges et de métissages variés. Décentrer le regard européen ou occidental sur la mondialisation. Qui sait par exemple que ce sont les Japonais qui au début du XXe siècle développèrent l’essentiel des plantations et de l’industrie du café au Brésil ? Ou encore que le Japon détermine aujourd’hui une très grande partie des standards qui font référence dans le monde entier en matière de goûts et d’arômes pour le café ?
Le café instrument de mesure des changements sociaux (deux exemples)
L’étude des lieux de consommation du café en Corée du sud nous apprend que ce sont les jeunes femmes (20-35 ans) qui, principalement, boivent le café. Dans la société coréenne, ces jeunes femmes ont inventé une nouvelle forme de culture populaire associée au café : on les appelle les “doenjang girls” (doenjang signifiant la pâte de soja fermentée). L’idée (ou l’image) étant que ces jeunes femmes sont prêtes à se nourrir de soupe de soja fermenté (doenjang jjiagae), l’un des plats populaires les moins chers en Corée, afin d’économiser pour pouvoir prendre un bon café dans un “Caffebene”. Au-delà de l’image, c’est un style de vie nouveau et proprement coréen qui s’invente autour du café – une façon d’être féminine qui est à la fois parodiée et portée aux nues dans un clip vidéo qui a été l’un des plus regardé au monde (deux milliards de vues) : le “Gangnam style” du chanteur coréen Psy. Cette passion coréenne pour le café est attestée par une récente déclaration du Ministre de l’agriculture coréen annonçant que la consommation du café avait dépassé celle du kimchi – l’aliment national coréen et jusqu’ici le plus consommé en Corée.
En Chine aujourd’hui, l’essor rapide de la consommation du café, la culture du café est associée à l’émergence des nouvelles classes moyenne. La consommation du café croit en Chine au rythme de 15% par an ; 7 fois plus rapidement que celle du reste du monde ; et l’on estime que les nouvelles classes moyennes chinoises représentent environ 300 millions de personnes – l’équivalent de la population des Etats-Unis. En Chine, l’histoire de la consommation du café renvoie à Shanghai, la ville républicaine des années 1920-30, où les cafés étaient fréquentés par des jeunes gens éduqués et des intellectuels qui venaient débattre de la révolution et de la société de consommation (in Pang, The collective subjectivity of Chinese intellectuals and their café culture in republican Shanghai, 2006). En Chine aujourd’hui, café et thé s’opposent comme la tradition et la modernité ; les nouvelles classes moyennes urbaines, actives, éduquées adoptent le café qui, dans l’imaginaire social, est toujours associé au mode de vie occidental. Les maisons de thé (chaguan) qui font partie du tissu social chinois sont concurrencées par l’essor de chaînes de cafés qui, presque insensiblement, inventent de nouveaux lieux de sociabilité qui intègrent le café aux habitudes culturelles et alimentaires des chinois urbains.
Au sein du Food 2.0 LAB, ce programme de recherche est dirigé par Pierre Raffard et Richard C. Delerins