Parcours gourmands (1) : énonciations et médiations renouvelées

marche-gourmande2010__mxoy26La visite d’entreprise alimentaire (envisagée dans un précédent article) fait partie des produits et des services de la grande famille du tourisme de découverte économique. Mais elle s’intègre aussi à l’offre globale des destinations gourmandes et à leur organisation en réseau.  Ainsi peut-elle devenir, pour les visiteurs ayant choisi de suivre des parcours gastronomiques, une simple halte,  au même titre que le « repas chez l’habitant », « la visite d’un sentier viticole » ou « l’atelier de cuisine » proposé par une association.

Depuis quelques années, les régions réorganisent activement leur offre touristique autour de « parcours gourmands » dont les enjeux, la durée, les formes et les imaginaires sont de plus en plus contrastés, ouvrant à des relations renouvelées aux patrimoines locaux. A l’occasion du printemps qui vient et des envies d’arpenter de nouvelles destinations qui se dessinent, esquissons une rapide catégorisation des multiples propositions de mobilités gourmandes (actuelles et à venir) qui s’énoncent via Internet. Catégorisation simplement esquissée mais résolument critique en ce qu’elle illustre les écritures encore timides ou brouillonnes de ces « parcours » et, de là,  voudrait inviter les responsables de destination à les repenser en termes de communication, d’éditorialisation et de médiation.

Les destinations gourmandes à bras le corps ?

  • Les « Parcours » gourmands et gastronomiques: par définition, ils mettent en avant les étapes, valorisent les déplacements de lieux en lieux ; mais les propositions de parcours en ligne semblent surtout faire office d’’appellation générique’ quelque peu fourre tout, car recouvrant une grande diversité de visites : tantôt essentiellement marchandes  (ainsi le site ‘Parcours Gourmands’ proposé par Au Féminin.com associé à org,qui relie avant tout  restaurateurs, marchés et espaces marchands), tantôt plus ouvertes aux lieux patrimoniaux (musées, anciennes halles, coopératives locales historiques) voire à une réflexion en acte sur « la santé en mangeant » (ainsi le parcours  gourmand ‘Patrimoine et Santé’ de la ville de Carmaux qui vient d’obtenir le label de la Fédération française de … randonnée – FFR);
  • Les « Marches » (rurales ou urbaines): par définition, elles invitent à un parcours à pas modérés, donnant à la performance pédestre du visiteur toute son importance, chaque lieu étant moins une étape que le jalon d’une expérience. Mais, comme pour les parcours, la désignation de ‘marche’ porte sur des produits touristiques fort différents (ainsi, en Alsace, les ‘marches gourmandes’ de Sigolsheim , du Bûcheron, de la Nachtweid ou de Thannenkirch  sont aussi présentées comme des marches ou des promenades ;
  • logoLes « Balades » et les « Flâneries »: théoriquement, celles-ci se veulent plus lentes et hasardeuses, plus champêtres et poétiques, moins prescriptives et plus centrées sur l’inventivité et la découverte de lieux et de personnes. Mais, au vu de l’éclectisme des propositions, il semble encore que la promesse ne soit pas souvent tenue : ainsi, si l’on met en dialogue les flâneries gourmandes jurassiennes, celle du Marais à Paris ou encore celles de la Cité Jardin de Stains  et de Brême, ville Capitale de l’Etat du même nom en Allemagne,  on ne peut que constater l’impossibilité d’une comparaison;
  • foulee-gastronomique-anglet-2015Les « Promenades gourmandes »: avec elles, l’humeur devrait être buissonnière et joueuse mais, de nouveau, les propositions ainsi désignées sont dispersées tant dans l’espace (du quartier à la ville … et aux grands paysages ) que dans le temps (ainsi les diverses et disparates déclinaisons des promenades du bœuf gras, également appelées Fête du Bœuf Gras, Cavalcade du Bœuf Gras, Fête du Bœuf villé – c’est-à-dire : promené en ville);
  • Les « sentiers gourmands »: en tant que chemins étroits dans la nature qui ne laissent passage qu’aux marcheurs, ils devraient inviter à des  traversées champêtres, alliant plaisirs gourmands et découverte d’un terroir.  Mais, de nouveau, on ne peut que constater un usage approximatif voire hasardeux de la notion;
  • Les « Randonnées » et les « Trails »: le pas s’accélère, la performance sportive est à l’évidence plus au centre, les territoires s’élargissent (8 à 20 kms à parcourir !) et se ruralisent; il s’agirait donc au fil d’un pas alerte et volontaire de relier fermes et fromageries, d’aller à la rencontre d’un terroir et de célébrer, plus que des produits ou des lieux précis, une ‘ruralité productrice’. Si les promesses se font ici plus explicites, elles restent relativement indéfinies quant aux conditions d’accompagnement du visiteur (Île de France ; Alsace );
  • Les « Itinéraires » et « circuits » gourmands et gastronomiques: ils sont motorisés et peuvent tant traverser des pays (ainsi la route/Itinéraire du Chocolat ) qu’inviter à parcourir un pays  au fil de ses terroirs ;
  • Les « routes » gastronomiques (qui se confondent souvent avec les précédents): l’échelle s’étend encore, la dimension mémorielle s’affirme; une route est envisagée comme un pèlerinage reconnu (souvent homologué) et est marquée par une histoire; elle est souvent dédiée à un ou à des produits de renommée mondiale: ainsi les routes du foie gras, du chocolat, de la truffe, de la noix, du cidre,… au long desquelles producteurs et artisans s’engagent à délivrer secrets de fabrication et à proposer des dégustations résolument patrimoniales. Mais elles peuvent aussi se centrer sur des spécialités et des ‘saveurs’ locales reconnues.

Désordre du sens ?

Cette revue des propositions (avant tout institutionnelles) de « voyages gourmands » témoigne d’une certaine approximation dans leur définition, leur positionnement et dans l’énonciation de leur « offre » …  dont les effets de sens seraient à questionner. On peut regretter cette confusion pour le visiteur, invité à des pratiques de mobilité gourmande dont l’imaginaire et les significations sont encore peu travaillées et, de là, dont les conditions et les situations de mise en œuvre ne sont pas véritablement anticipées, notamment en termes de médiation.

Certains acteurs privés semblent avoir saisi ce ‘désordre du sens’ et proposent des produits plus finement ‘calibrés’ mais manquent de moyens et surtout de légitimité pour développer des médiations à la hauteur de ce « marché patrimonial » revisité.

Dominique Pagès est membre du Food 2.0 LAB est enseignante au Celsa-Paris Sorbonne, Laboratoire GRIPIC.

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