Quand la Californie veut inventer la Food 2.0

Notre collègue à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC), Richard Delerins vient de publier une tribune passionnante (Libération, 27 octobre 2015) sur la manière dont les Californiens se mettent à la Food 2.0.

Food 2.0 Pavillon des USA à Milan

Food 2.0 Pavillon des USA à Milan

Microbes et bactéries, la révolution culinaire 2.0

En juin, l’ingénieur Rob Rhinehart, 26 ans, fondateur de la start-up Soylent, est consacré par Inc. Magazine «jeune entrepreneur le plus innovant de Los Angeles». Depuis 2013, son entreprise Soylent commercialise une boisson sous forme de poudre à mélanger avec de l’eau, censée remplacer tous nos aliments, économiser le temps et l’argent que nous consacrons à nos repas. C’est le film d’anticipation des années 1970 Soleil vert (Soylent Green en VO) qui a inspiré Rhinehart. On y dépeint un monde où l’agriculture a presque disparu, et où les habitants en sont réduits à manger des tablettes de synthèse fabriquées par la multinationale Soylent. Une vision énergétique de l’acte alimentaire («Food is Fuel»), un univers aseptisé, sans géographie, sans vie.

L’histoire de l’alimentation depuis le Néolithique est une histoire de la vie par la domestication des animaux, des plantes et des ferments. Au fil du temps, nos systèmes culinaires ont incorporé ces forces mystérieuses à l’œuvre par la fermentation. On pensait que le ferment avait «la propriété, par son mélange avec une matière de différente nature, de convertir, de changer cette matière en sa propre nature» (Encyclopédie). Depuis le Moyen Age, la plupart des fromages étaient «inventés» sous le contrôle de l’Eglise, par des moines reclus derrière une clôture qu’ils savaient ouvrir quand il le fallait pour faire connaître le pont-l’évêque, le saint-marcellin, le sassenage, le munster, puis, plus tard, le port-salut. Pasteur dépoussière toutes les croyances sur le vivant à la fin du XIXe siècle : des micro-organismes œuvrent bien à la transformation des matières lactées. Et les cultures culinaires sont profondément marquées par les microbes, levures, «bonnes bactéries» : pain, vin, bière, fromage, dosa, kimchi, miso, idli, busa, kombucha forment les bornes milliaires de nos géographies alimentaires.

La génomique et la bio-informatique chamboulent ces cartographies pastoriennes et donnent à lire des habitats du «monde microbien» dans de surprenants paysages comme les champs pétrolifères, les calottes glaciaires, les fonds océaniques. En septembre 2014, le premier zoo microbien (Micropia) a ouvert ses portes à Amsterdam (1) : adieu lions, girafes, éléphants ! Vive les bactéries, mycètes, virus, micro-algues, aspergillus ! On explore les «micro-vivants» au fond du corps humain. Près de 9 cellules sur 10 de notre corps sont des microbes. Ils vivent en nous, forment des écosystèmes complexes, interviennent dans l’élaboration des protéines, des vitamines par les bactéries intestinales, dans l’éducation du système immunitaire. Un kilo et demi de microbes contribue chaque jour à notre digestion et à notre santé.

Food 2.0 Googleburger

Food 2.0 : le Googleburger

Rob Knight est l’un des pionniers de l’exploration des territoires microbiens. Dans son labo de La Jolla (université de Californie, à San Diego), il reçoit des échantillons de microbes de toute la planète, des archéobactéries provenant de sédiments marins du fond du Pacifique, aux microbes habitant le nid d’un hibou en Alaska. Pour séquencer le génome des communautés microbiennes par des algorithmes de génétive computationnelle, c’est le programme Earth Microbiome Project (2).

De nouveaux paysages et nouvelles cartes de la Terre alimentent un projet scientifique : Human Food Project (3) tente de saisir la co-évolution entre hommes et microbes. «Bons microbes», «mauvais microbes», quels sont les plus utiles à notre santé et à notre alimentation ? Ce programme ambitionne la cartographie microbienne du système digestif des Etats-Uniens.

Earth Microbiome Project est une entreprise de «bio-prospection» (4) s’apparentant au projet de collecte végétale du monde lancé à la fin du XVIIIe siècle par les naturalistes européens. Enjeu scientifique, mais aussi économique. A l’époque, la concurrence entre Européens a été violente. Pierre Poivre vole, en 1753, aux Hollandais la noix de muscade et le clou de girofle pour les introduire aux Mascareignes dans son jardin. Des utopies alimentaires ont vu le jour, comme l’«arbre à pain» qui viendrait à bout des famines. De nouvelles routes commerciales ont créé de nouvelles pratiques alimentaires.

Aujourd’hui aussi, l’exploration microbienne du monde est une aventure scientifique et commerciale sans précédent. Cette histoire a débuté dans les années 1900, à Paris, où Elie Metchnikoff (1845-1916), zoologiste et bactériologiste russe de l’Institut Pasteur, étudie les bactéries du lait caillé (probiotiques) – contribuant, selon lui, à augmenter la longévité humaine, notamment le Lactobacillus bulgaricus des yogourts bulgares. En 1908, Metchnikoff est nobélisé en médecine.

Dans la foulée, Isaac Carasso lance, à Barcelone, puis en France, une entreprise commerciale de yaourts à laquelle il donne le nom de Danone. La nouvelle cartographie des territoires microbiens et, surtout, du microbiote ouvre l’imaginaire culinaire. La révolution «Food 2.0» est lancée. Plus que jamais, «Food is Information». A l’échelle planétaire pour une nouvelle bataille géopolitique.

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Geographica a publié, en 2013, sur ces start-up alimentaires

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