Les découvertes récentes de la génétique bouleversent notre compréhension de la nutrition, changent notre regard sur les cultures culinaires. L’idée même de santé en est transformée …
Traditionnellement, les études sur l’interaction des gènes et des nutriments ou la physiologie de la nutrition sont très éloignées de l’étude des habitudes alimentaires et des cultures culinaires. Aujourd’hui, les travaux et résultats de recherche récents à l’échelle de la biologie moléculaire et cellulaire ont des implications profondes sur notre vision de l’alimentation et de la nutrition. Génétique, nutrition et cuisine sont devenus des champs d’études interdépendants où se mêlent les sciences de la vie et les sciences sociales.
L’arrivée de la microbiologie dans l’ère de la génomique au milieu des années 1990, a permis de repenser l’alimentation à l’échelle moléculaire et cellulaire. Les outils de la génomique ont ouvert de nouveaux paysages cellulaires pour mieux comprendre et manipuler le vivant. L’imaginaire culinaire et l’innovation alimentaire n’échappent pas à ce grand mouvement de reconstruction des aliments sur leur base moléculaire.
Les recherches sur le « microbiote » bouleversent également nos représentations de l’idée de santé. La bioinformatique redessine les anciennes cartographies pastoriennes du « monde microbien » ; on explore les « micro-vivants » au fond du corps humain. Près de 9 cellules sur 10 de notre corps sont des microbes. Ils vivent en nous, forment des écosystèmes complexes, interviennent dans l’élaboration des protéines, des vitamines par les bactéries intestinales, dans l’éducation du système immunitaire. Un kilo et demi de microbes contribuent chaque jour à notre digestion et notre santé. En septembre 2014, le premier zoo microbien (« Micropia ») a ouvert ses portes à Amsterdam : les bactéries, mycètes, virus, micro-algues, aspergillus y sont à l’honneur ! Aujourd’hui, on séquence le génome des communautés microbiennes qui vivent en nous, grace à des algorithmes de “génétique computationnelle” ; et l’on comprend – sans doute pour la première fois – la richesse de la coévolution entre hommes et microbes. « Bons microbes », « mauvais microbes», quels sont les plus utiles à notre santé et notre alimentation ?
Très récemment, génomique et microbiologie ont franchi une nouvelle étape décisive avec l’avènement de la « biologie synthétique » et de la méthodologie dite “CRISPR/Cas9” qui permet d’« éditer » de l’ADN à la manière d’un logiciel de traitement de texte. En 2010, dans son laboratoire de San Diego, Craig Venter et ses collègues sont parvenus à « créer » une cellule vivante synthétique par transplantation d’un génome de novo (synthétisé chimiquement in vitro) dans une bactérie receveuse dont on avait retiré le génome naturel. La bactérie ainsi créée se comporte selon les instructions données par son génome artificiel et elle se réplique toutes les 180 minutes ; c’est la première forme de « vie synthétique ». D’ores et déjà, les applications directes de la biologie synthétique vont de la médecine à l’alimentation en passant par la production de biofuel à partir de micro-algues.
L’un des exemples les plus remarquables des succès récents de la biologie synthétique qui a valu le prix Nobel de médecine 2015 à la chinoise Youyou Tu, est la fabrication d’un médicament antipaludéen, l’artemisinine, qui est désormais produit industriellement par des levures de boulanger dans de véritables usines microbiologiques. Dans l’alimentation, de nombreux projets en biologie synthétique sont développés par des startups de la Food tech. Le vivant devient de l’information. Et l’information peut se matérialiser dans des formes vivantes déjà existantes ou nouvelles. L’innovation alimentaire n’y échappe pas. Plus que jamais, « Food is information ».
Au sein du Food 2.0 LAB, ce projet de recherche est dirigé par Richard C. Delerins et Christophe Lavelle.