Habiter la ville ne se résume plus simplement à occuper un appartement et à disposer passivement des espaces publics (voire à les consommer). Dans un modèle de ville qui s’affirme depuis près de deux décennies comme durable, sensible, résilient, intelligent, participatif… Habiter serait aujourd’hui s’engager, œuvrer pour le bien commun. Ainsi en est-il pour ces habitants qui bénéficient depuis peu d’un « permis de végétaliser » délivré pour occuper certains espaces publics disponibles en y plantant fleurs, plantes, fruits et légumes… mais sous conditions.
Prenons l’exemple de Paris: à l’été 2015, l’adjointe de la Maire en charge des espaces verts de la nature et de la biodiversité a présenté au Conseil de Paris le « permis de végétaliser », un dispositif qui permet à chacun de devenir acteur de la végétalisation de la ville. Ce dispositif s’inscrit dans le projet de la mandature de végétaliser, d’ici 2020, 100 hectares de toits, murs et façades végétalisés, dont un tiers consacré à l’agriculture urbaine.
Avant lui, diverses initiatives avaient déjà actualisé les ambitions de ces politiques vertes, ainsi : la Charte « Main Verte » et le renouveau encouragé des «jardins partagés» et des « jardins potagers », l’opération « Du vert près de chez moi » (qui invite les citoyens à localiser les lieux proches de leur domicile susceptibles de faire l’objet d’une végétalisation), le « Plan Biodiversité », le cycle « Cultivons la ville » ou encore la « Bourse aux plantes» (vente de surplus de végétaux de la Mairie de Paris). Autant d’actions et de dispositifs pour changer notre relation à la nature, pour faire évoluer sa place et ses formes dans la ville, qui participent désormais aux politiques émergentes dédiées à l’agriculture urbaine et à l’alimentation.
Une démarche participative
Le travail de la terre dans la ville n’est certes pas nouveau ( les jardins potagers des villes médiévales, les jardins collectifs de la fin du 19ème siècle, les mouvements du land art urbain et du guerilla gardening des années 70/80 ou encore les premiers grands combats pour la défense de la biodiversité des années 90). Aujourd’hui l’accent est mis sur le mode collaboratif de ces projets qui relèvent d’une citoyenneté dialoguée, visant non seulement la végétalisation mais aussi le lien social, l’éducation à la biodiversité, l’esthétisation de la ville voire l’insertion des personnes en difficultés… La Mairie de Paris encourage donc le développement de la végétalisation de son domaine public en s’appuyant sur une démarche participative et sur une implication des habitants afin d’améliorer le cadre de vie.
Avec le permis de végétaliser l’invitation est ainsi faite aux parisiens d’occuper les espaces publics pour y semer, bêcher, planter fleurs, légumes, aromates… Pour obtenir ce permis il faut simplement : faire la demande via le site de la mairie ou effectuer la démarche en mairie de quartier, présenter son projet puis attendre quelques semaines « l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public » (les requêtes font l’objet d’évaluation et d’étude de faisabilité par les services techniques de la ville). Délivrée dans un délai d’un mois, cette autorisation, à titre gratuit, portera sur une durée de 3 ans renouvelable tacitement.
Pour susciter un effet « boule de neige » et mutualiser les initiatives (mais aussi les publiciser comme signes d’une opération réussie), la mairie a créé une plateforme et d’échanges entre tous les jardiniers détenteurs de permis de végétaliser afin que ces derniers s’échangent leurs astuces, bons plans et autres conseils. Par ailleurs, elle peut faciliter les initiatives en : offrant un kit de plantation (terre végétale, graines, semis, plants et parfois outils), prenant parfois en charge les travaux de réalisation de parterres (préparation de la fosse de plantation, pose de bacs, de bordures de protection, etc.), invitant des associations subventionnées à apporter leur aide aux habitants, … enfin parfois elle entreprend avec les habitants les projets les plus ambitieux. Le Pôle-ressource « Jardinage urbain » du Parc de Bercy ainsi que des référents de la DEVE (division des espaces verts et de l’environnement) peuvent aider, guider, former… Ce dispositif, inspiré de diverses initiatives anglo-saxonnes, appelle quelques éclairages et questionnements.
Urbainculteurs : une citoyenneté en devenir
Cette occupation temporaire du domaine public à titre gratuit a rencontré un franc succès : 1400 permis ont été octroyés, autant de chartes signées soit par des individus ou des des collectifs (copropriétés par exemple), soit parfois par des associations de commerçants.
Qui peut faire en fait la demande ? « Toute personne physique ou morale souhaitant entretenir un espace à proximité de son lieu de résidence ou d’activité ». Le jardinier s’engage donc à respecter une charte de végétalisation qui consiste à partager les fruits et les légumes cultivés, à utiliser des plantes locales et mellifères favorisant la biodiversité de Paris, à ne pas avoir recours aux pesticides, etc. Avec ce permis, l’urbainculteur s’engage donc bien à œuvrer au changement de mode de vie d’une Capitale (plus végétale, fruitière voire potagère) et devient donc responsable à divers titres : celui d’une citoyenneté verte ; celui de la sécurité de ses réalisations (qu’il doit assurer), celui de la qualité et de la propreté des espaces publics qu’il investit; celui du partage de ses productions…
Cette initiative s’est élargie à d’autres villes qui, de même, encouragent les citoyens à égayer le bitume, à fleurir les rues, à investir via des plantations plus ou moins originales passages, façades aveugles, contours d’arbres… Désormais Bordeaux, Grenoble, Le Havre, Marseille ou encore Strasbourg délivrent des permis assortis de même de chartes de végétalisation. En 2016 Tours a lancé son opération « A fleur de trottoir » (végétalisation des rues, des trottoirs, des venelles, …) rencontrant un franc succès médiatique et citoyen pour fleurir les rues devant les maisons de particuliers, pour en « améliorer l’ambiance ». L’émulation et l’exemplarité sont donc au rendez-vous.
« Green Cities »
Mais avec ce permis mais aussi via la grande diversité des dispositifs évoquée, Paris aspire aussi à devenir une capitale verte à part entière, comme Berlin, New York, Londres se sont engagées à le devenir. Elle entre donc dans ce jeu de concurrence et de distinction symboliques international qui dépasse les seuls enjeux écologiques, notamment à l’heure où se multiplient les labels et observatoires des villes vertes : ainsi en France, l’Observatoire « Villes Vertes » (UNEP-HORTIS, réunissant entreprises du paysage et responsables d’espaces naturels en ville) qui vise à approfondir la réflexion sur les perspectives de la ville verte et à promouvoir les expériences exemplaires; ainsi en Europe, le Label “Green cities”, le prix ‘Capitale Verte’ …. Dont les indicateurs et les logiques de classement appellent de fines réflexions.
S’il s’agit bien de repenser en termes de biodiversité les patrimoines naturels de nos villes, les enjeux économiques, sociaux et touristiques, d’attractivité et de compétitivité semblent s’affirmer et parfois médiatiquement prendre le pas… A suivre donc.
Dominique Pagès est membre du Food 2.0 LAB et enseignante au Celsa-Paris Sorbonne, Laboratoire GRIPIC.