Dans la série “Mais qu’est-ce que c’est ce truc dans mon assiette?”, après les ananas roses, et en plein scandale des produits contaminés au Fipronil, dont la liste ne cesse de s’allonger, nous abordons le cas de la Léghémoglobine de soja (plus connue sous le nom de SLH, pour Soy LegHemoglobin).
De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’une molécule naturellement présente dans les racines du soja, que les ingénieurs (très inspirés) d’Impossible Food ont décidé d’utiliser pour créer du “sang végétal”, ingrédient indispensable à tout viandard végétarien (oxymore bientôt très tendance) qui se respecte. Le problème est que, malgré les tentatives de l’entreprise californienne, la FDA refuse de cautionner l’utilisation de ladite molécule.
Pourquoi utiliser de la SLH, me direz-vous ? Pour s’assurer de l’aspect bien saignant des “steaks” sans viande… Impossible Food s’est fixé pour objectif de mettre au point un burger 100% végétal, qui a l’aspect, la saveur, l’odeur, la texture, le son (oui, le son; c’est eux qui l’affirment) d’un bon vrai burger de carnivore, tout en diminuant (toujours selon eux) de 95% la surface de terre cultivable et de 74% la quantité d’eau utilisées, en réduisant de 87% l’émission de gaz à effet de serre et, (tomate) cerise sur le burger, tout cela pour offrir un produit sans hormone et sans antibiotique ! Que demande le peuple (qui a faim) ?
Bien sûr, cela demande un peu de mise au point (5 ans), car on ne remplace pas comme ça une vache par du soja, et si les ingrédients ne manquent pas pour donner un peu de texture (blé, pomme de terre) et de gras (huile de coco), le “saignant” est une autre affaire, non pas tant pour la couleur (un bon jus de betterave et le tour est joué), mais pour tout le reste (l’aspect, le goût). C’est là que nos ingénieurs ont trouvé l’ingrédient magique: “What makes the Impossible Burger unlike all others is an ingredient called heme. Heme is a basic building block of life on Earth, including plants, but it’s uniquely abundant in meat. We discovered that heme is what makes meat smell, sizzle, bleed, and taste gloriously meaty. Consider it the “magic ingredient” that makes our burger a carnivore’s dream“. Un “rêve de carnivore”, rien que ça ; Impossible Food maitrise le sang (végétal) ET la communication.
Le problème est que la SLH n’a encore jamais été utilisée comme additif alimentaire, d’où la réticence de la FDA (Food and Drug Administration, l’équivalent de l’ANSES chez nous) à cautionner son usage, sans compter les doutes qui pourraient surgir quant au moyen de production de cette molécule, obtenue par des cultures de levures OGM dans lesquelles le gène SLH a été introduit. Si le procédé est courant dans l’industrie agroalimentaire, il est souvent mal perçu chez les consommateurs, pour des bonnes et des mauvaises raisons (qu’il serait fastidieux de décortiquer ici; nous consacrerons ultérieurement un article sur le sujet).
Du coup? Du coup, rien. La FDA n’ayant pas non plus reconnu le caractère nocif de la molécule, la loi américaine n’empêche pas l’heureuse entreprise de continuer à l’utiliser et de vendre ses burgers “cow free” aux mangeurs pétris d’écologie et d’éthique animale, les babines pleines de sang de soja et de gras de coco.
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB. Il a récemment publié “Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef!” (Flammarion).