La tomate avec le basilic ? Du chocolat avec les fraises ? Des lardons dans les lentilles ? Ou, pour parler boissons : un sauvignon sur mon poisson ? Un cabernet sur mon magret ? Manger est une affaire d’association : solide/solide (dans le choix des ingrédients qui composent un plat) et solide/liquide (dans le choix du breuvage qui accompagne ce plat). Mais quelle est la part culturelle de ces “accords” ? Existe-t-il des bases scientifiques solides pour les étayer ?
Oui, répondent les défenseurs de la théorie du “foodpairing”, qui vont jusqu’à proposer un outil en ligne permettant de générer de manière automatique des accords réputés optimaux. Sur quelles bases ? D’abord, chaque aliment fait l’objet d’une décomposition de son “profil aromatique” grâce à la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse ; on identifie ainsi les principaux composés odorants de l’ingrédient. Une belle odeur de champignon ? De l’1-octen-3-ol avant tout. Ce parfum si caractéristique du riz basmati ? Du 2-acétyl-1-pyrroline. Un arôme de beurre frais ? Du 3-hydroxybutanone. Ces différentes “notes” sont rangées par famille (grillées, fruitées, florales, etc.) et les profils des aliments sont comparés entre eux. C’est là qu’intervient le principe magique du foodpairing : “plus deux aliments partagent de notes communes, plus ils ont de chance de s’accorder dans une recette”. Tadaaaaaaaa.
En pratique, qu’est-ce que cela donne ? De “fameux” accords chocolat blanc et caviar, fraise et parmesan ou encore huître et fruit de la passion. Est-ce que cela fonctionne ? Il suffit d’essayer pour s’en convaincre… ou pas ! Car là réside le problème : au-delà de l’hypothèse ou principe totalement arbitraire susmentionnée, il semble difficile d’établir un protocole scientifique robuste qui permet de quantifier la pertinence d’un “accord”.
C’est pourtant ce qu’ont essayé de faire des chercheurs de l’université Harvard. En testant l’hypothèse du foodpairing sur un corpus de plusieurs milliers de recettes, les scientifiques ont montré non seulement que le biais statistique dans les associations d’ingrédients était faible comparé à des recettes produites de manière totalement “aléatoire” – mais que ce biais était en outre inversé si l’on considérait d’un côté les recettes d’Amérique du Nord (USA, Canada), qui vont dans du foodpairing (“qui se ressemble s’assemble”), et d’un autre côté les recettes d’Asie du Nord-Est (Corée, Chine, Japon), qui vont dans le sens de l’opposition (le Yin et le Yang ne sont pas loin) !
Les accords seraient donc avant tout subjectifs, culturels, voire personnels. Bien plus que rationnels ou universels ? Ce que confirme insidieusement une autre plateforme, qui octroie un indice de “pairing” à différentes associations entre ingrédients et renvoie à des recettes qui – même pour les accords considérés inappropriés – se retrouvent très bien notées par les internautes !
Bref, la science a déjà beaucoup à faire avec de vraies questions… Ne la sollicitons pas quand elle n’a rien à dire !
A suivre cet été : Foodpairing (2/3) : La “science” des accords mets-vins
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB. Il a récemment publié « Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef ! » (Flammarion).
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Une première version de cet article est parue dans le numéro de juin 2018 de l’Autre Cuisine.