Le poisson qui est dans notre assiette n’est pas toujours celui qu’on croit : des bars à sushi de Chicago aux “fish and chips” de Manchester en passant par les restaurants en vogue des grandes métropoles européennes, la fraude de substitution a atteint des niveaux records.
Un rapport d’Oceana (ONG américaine œuvrant pour la préservation des ressources halieutiques) fait la synthèse de 200 études réalisées dans 55 pays sur tous les continents : 25,700 échantillons de poissons ont été prélevés à différentes étapes des chaînes d’approvisionnement : dans les marchés, les rayons des grandes surfaces, les cuisines des restaurants et les assiettes des consommateurs. Résultat : un poisson sur cinq est frauduleux ! Fausse étiquette, substitution d’espèce, mauvaise origine… A Bruxelles par exemple, 98% des 69 plats de thon rouge testés dans les restaurants contenaient en réalité un autre poisson !
Selon les pays, les poissons fraudeurs varient ! Aux Etats-Unis, l’intrus no1 des assiettes est le “poisson-chat” (catfish). En Europe, le roi de la fraude de substitution est l’escolier noir (Lepidocybium flavobrunneum) : pêché en grandes profondeurs sa consommation serait dangereuse pour la santé – sa chair contenant une huile indigeste, la gempylotoxine qui peut provoquer des dérangements intestinaux. La fraude est d’autant plus répandue que les jeunes consommateurs (en particulier les Millennials) ignorent souvent jusqu’à la forme des poissons – désormais vendus principalement en filets, en “Fish sticks” ou “Hotdog de la mer” !
L’histoire des falsifications alimentaires ne date pas d’hier. Dans son Histoire des peurs alimentaires, Madeleine Ferrières rappelle la légende de la mère Michel qui a perdu son chat, à qui le père Lustucru, cuisinier dodu, a l’audace de dire “pour un lapin votre chat est vendu”. La légende aurait été inspirée par le procès intenté en l’an 1500 par Gilles de Bailly à un certain Philippot Malquis pour lui avoir fait manger un pâté de cervelle de chat dont il demeura infirme. L’histoire est reprise par Montaigne dans ses Essais pour parler de la force de l’imagination : cette fois, c’est un gentilhomme qui, ayant reçu quelques amis de bonne compagnie, “se vanta trois ou quatre jours après, par manière de jeu (car il n’en était rien), de leur avoir fait manger un chat en pâté : de quoi une demoiselle de la troupe prit telle horreur qu’en étant tombée en un grand dévoiement d’estomac et de fièvre, il fut impossible de la sauver”.
Plus près de nous, en 2013 le scandale des “lasagnes à la viande de cheval” a ébranlé la confiance des consommateurs européens ; remis en question la “traçabilité” des filières alimentaires et révélé l’existence du “minerai de viande”. En Europe, l’ONG Foodwatch traque aujourd’hui les emballages trompeurs (telles que les soupes au boeuf sans boeuf ) et dévoile les “ruses légales” employées par les marques de l’industrie agroalimentaire.
Mais demain, la génomique et le big data (notamment les bases de données distribuées ou “blockchain”) permettront-ils de mettre fin à la fraude alimentaire ? C’est ce que propose la startup “PureMolecular” fondée en 2014 par John H. Paul, professeur de biologie marine à l’University of South Florida. Son entreprise commercialise un petit appareil qui dévoile l’identité des poissons grâce aux outils les plus avancés de la génomique. Cette “police des assiettes” promet d’arrêter les poissons fraudeurs et offre également un service de codes barre à ADN pour garantir définitivement l’origine et l’identité des produits de la mer…
Richard C. Delerins est anthropologue, chercheur du Pôle Alimentation, risque, santé de l’ISCC (CNRS) ; il co-dirige le Food 2.0 LAB avec Gilles Fumey et Christophe Lavelle.