A la question “Pourriez-vous nommer une plante interdite par la loi ?”, j’ose parier que nombre d’entre vous vont feuilleter leur herbier imaginaire au chapitre “Narcotiques et stupéfiants” et en sortiront une variété riche en opium ou en cannabinoïdes. Combien auraient envisagé que l’on puisse être condamné pour détention illicite de pieds de tomates, d’épis de blé ou de feuilles de basilic ? Et cela n’est pas dû au caractère hautement addictif de la pizza Margherita…
Un procès a tenu en haleine les défenseurs de la biodiversité et de la liberté des semences durant près de 10 ans. Selon la loi jusque-là en vigueur, la balle était dans le camp des semenciers industriels. Opposant un grainetier commercial qui reprochait à une association de dissimuler son activité commerciale sous divers prétextes écologiques, l’affaire a eu le mérite de faire connaître le “Catalogue officiel des espèces et variétés”. Ce catalogue est géré par un organisme, sous tutelle du ministère de l’Agriculture, regroupant les représentants institutionnels des semenciers professionnels. Il établit les variétés végétales pouvant être commercialisées. On est en plein conflits d’intérêts : référencer une semence représente un coût et limite, de fait, cette protection aux graines “inventées” par les firmes semencières au budget colossal. Selon les opposants à la brevetabilité du vivant, ce catalogue ne protège pas la biodiversité, il favorise la disparition des semences rares dites « semences paysannes » et standardise l’offre.
Quand on parle de protéger la biodiversité cultivée, protège-t-on la diversité des espèces ou les cultivateurs ? A partir du moment où l’on choisit de figer les caractéristiques d’une plante, a-t-elle encore quoi que ce soit de naturel ? N’empêche-t-on pas, justement, la biodiversité de se diversifier ?
Kokopelli est une association qui distribue des graines de variétés anciennes entretenues dans le potager des adhérents afin de préserver 2 000 variétés de la disparition. Elle avait d’abord été condamnée pour avoir organisé “des actes de concurrence déloyale tendant à la désorganisation du marché des graines de semences potagères anciennes” et était redevable de 17 000 euros d’amendes pour avoir mis sur le marché des semences non autorisées. En appel, les juges décident que l’activité de Kokopelli ne constitue pas une concurrence déloyale et confirme que l’inscription au catalogue était indispensable dans le cadre d’une activité lucrative en précisant la liberté d’échanger des variétés non-inscrites pour les amateurs. Du judiciaire, les revendications ont ensuite été reprises à la volée par le législatif qui a débattu du statut des graines dans le projet de « loi biodiversité ».
En temps normal, sur son perchoir, à l’ombre de l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi », le législateur pond des lois silencieuses qui ne feront caqueter que lorsqu’elles seront transgressées. Au contraire, la « loi biodiversité » a fait voler en éclat durant plus de deux ans un parcours législatif caillouteux alternant déclarations et abrogations. Nul doute que le système battrait de l’aile s’il avait fallu légiférer sur un sujet si transversal qu’il implique six cabinets ministériels aux intérêts divergents : l’économie, la recherche, la santé, les collectivités territoriales, l’agriculture et l’environnement.
Adoptée en juillet par le Parlement, la « LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » compte 174 articles aussi indigestes que du gluten transgénique. Elle a donné du grain à moudre aux pro-, comme aux anti-tout-ce-qui-peut-toucher-à-l’environnement. Promulguée pendant les vacances, elle a laissé tout le monde indifférent. Alors que les planteurs-amateurs bénéficiaient de l’avantage dû à l’article 11 proposant d’autoriser les associations à distribuer des variétés appartenant au domaine public, la balle de match s’est finalement jouée le 4 août au Conseil constitutionnel qui a invalidé l’article 11, laissant un vide juridique. Qui désigner comme vainqueur ? Sûrement pas la biodiversité.
Difficile de s’informer sur le sujet hors des sites prosélytes. Comment se faire un avis lorsque le texte est trop technique pour être compréhensible ? Quand ceux qui gagnent des droits se jugent toujours plus bafoués ? Quand ceux qui considèrent en perdre agitent la lanterne rouge et ramènent le débat à la case départ ? Il conviendrait de commencer par le commencement : qui de la graine ou de la plante est arrivé le premier ?
La Réserve mondiale de semences du Svalbard en Norvège, où des milliers de graines sont stockées à l’abri de tout risque climatique ou humain, constitue une sorte de sauvegarde du patrimoine génétique végétal à un temps T. Or, c’est en échangeant et multipliant les semences, à titre gratuit ou onéreux, que ce patrimoine peut être transmis et virtuellement perdurer. La nature est imparfaite et c’est précisément de ces imperfections accumulées au fil des générations que surgit la biodiversité qui est un concept anthropocentrique. La sélection n’a rien de naturel lorsqu’elle vient satisfaire des critères de rentabilité. Vouloir légiférer, donc lui donner des bornes, est un non-sens qu’il serait aimable de clarifier : ce n’est pas la biodiversité que l’on protège mais les humains qui en tireront profit.
L’association indienne Navdanya créée par l’indienne Vandana Shiva fait cohabiter les notions de protection de la nature et de bénéfice pour les sociétés humaines en désignant la responsabilité environnementale comme étant le terreau fertile d’un système alimentaire plus égalitaire. Ainsi, elle entretient une banque de graines destinées à aider les fermiers victimes du climat et de l’agro-industrie et cultive la conscience des consommateurs en leur ouvrant l’esprit sur l’impact de leurs choix alimentaires.
Le seul moyen efficace de faire perdurer la diversité du vivant est de la faire vivre et se multiplier comme c’est le cas depuis des millions d’années. Si le droit français n’autorise pas les associations à se charger de cette mission de rassemblement des variétés anciennes, il faudra donc compter sur les bonnes volontés et les réseaux d’entraide informels pour que les générations futures puissent connaître le vrai goût de la tomate, du blé ou du basilic.
Karen Uriot est chercheuse en génomique et membre du Food 2.0 LAB