Quand on lit les textes de cadrage pour l’obtention et la mise en œuvre du Permis de végétaliser (voir articles précédents), nous pouvons dans un premier temps regretter une certaine froideur dans la présentation du cadre juridique et des contraintes techniques… mais à la lecture de la charte évoquant ce qui est ou non cultivable, nous devenons rêveurs, un sentiment de plaisir nous saisit. Que nous conseille-t-on? Que nous déconseille-t-on?
La médiation des mots au service d‘une citoyenneté potagère
Si la charte proposée nous interdit les cultures à but lucratif, les plantes hallucinogènes, urticantes et invasives, les plantes potentiellement allergènes, elle nous invite en effet à un voyage langagier « réparateur ».
En effet, si les textes publicisant l’initiative sur internet évoquent simplement la possibilité de planter des bulbes, des plantes grimpantes, des arbustes à palisser, des vivaces, des arbres et des arbrisseaux fruitiers, s’ils nous incitent bien à installer des jardinières au coin de nos rues, aux pieds des arbres ou de murs aveugles, la charte quant à elle va plus loin : elle préconise notamment de privilégier des espèces (notamment sauvages, régionales ou françaises) et des plantes (hôtes et nectarifères, possiblement utiles aux insectes)… Et la liste se déploie pour notre plus grande joie.
Ainsi nous sommes amenés à réviser et surtout à enrichir notre vocabulaire végétal : le simple mot ‘arbuste’ se déploie en amélanchier, argousier, cornouiller, forsythia, potentille argentée ; ceux de ‘vivaces’ et d’’annuelles ‘ en alchemilla, arabis, capucine, marguerite du Cap, phacélie, roses trémières. Notre familiarité avec l’agriculture urbaine devient plus évidente : persil, thym, romarin, menthe, origan, salade, fève, rhubarbe, poireaux peuvent fleurir dans nos rues et nos espaces publics ; tomates, aubergines, courgettes, poivrons potirons, lauriers sauge, ciboulette, fenouil, … peuvent être cultivés en ville soit en bac, soit en pleine terre.
La seule puissance évocatrice de ces mots éveille nos passions végétales, ravive notre imaginaire fruitier, suscite nos désirs aromatiques… Au-delà des rituels de jardinage et de leurs gestes et savoir-faire retrouvés, ce sont donc nos espérances d’utopie végétale qui se voient cautionnées.
Vers une sémiotisation nourricière de nos villes ?
La puissance langagière est bien à l’œuvre pour installer progressivement l’idée de cette ville agri-urbaine, pour donner à lire poétiquement cette ville vivrière, pour nous redonner, à force d’attributs, goût à la terre et favoriser notre appropriation des logiques maraîchères…
Cette mise en récit aux accents champêtres installe, l’air de rien, le paysage mental d’une ville à fleur de pas et au bout de la bêche. Sans doute la dimension politique première s’y euphémise mais l’imaginaire du potager (tout à la fois de production et d’agrément) s’urbanise et invite à des paysages simples, colorés et savoureux. Il s’agirait moins de remplir notre ventre que de (ré)apprendre à parler de nature, à énoncer savoureusement les gestes de son entretien et de sa mise en culture.
Les noms des fermes urbaines du Grand Paris et d’autres villes de France poursuivent cette invitation poétique : la Ferme du bonheur, la Recyclerie, V’île Fertile, Topager, Toit tout vert , La Marcotte, Paysan Urbain, FUN (ferme urbaine nantaise) …. Autant de lieux aux enjeux et aux positionnements différents mais qui se présentent comme des “havres”, des “refuges”, des utopies réalisées promettant des sociabilités ré-enchantées.
Aux injonctions actuelles à la ville “sensible”, “sensuelle”, “sensorielle”, “affective”, nous pouvons ajouter celles de la ville “olfactive”, “tactile”, “gustative” … De la citoyenneté vertueuse à l’hédonisme polysensoriel et réciproquement : envisageons tous les plaisirs d’une ville à vivre à bras le corps et nez au vent, sans perdre de vue ses enjeux citoyens.
Dominique Pagès est membre du Food 2.0 LAB et enseignante chercheure au Celsa-Paris Sorbonne, Laboratoire GRIPIC.