Enseignante à Cambridge, auteur d’une étude sur le Raj britannique des années 1800 à 1947, Lizzie Collingham a suivi l’évolution et les pérégrinations planétaires de ce plat emblématique de la gastronomie indienne, sous les influences successives des Moghols et des Perses (Parsi), des Portugais, des Anglais surtout, et même, dans une moindre mesure, des Hollandais et des Français.Elle revisite ainsi toute l’histoire de l’Inde et de ses souverains par sa gastronomie et montre que le curry fut un concept imposé par les Européens.
Le mot ” curry ” est très probablement un anglicisme dérivé du tamoul kari, qui désigne la préparation des épices destinées à l’assaisonnement. Progressivement, alors que les Anglais passaient en Inde du statut de marchands à celui de colons, c’est devenu un terme générique englobant l’ensemble des plats épicés nappés d’une sauce épaisse. La cuisine indienne s’est forgée aux nombreux carrefours de l’histoire de cet immense pays : marchands portugais, conquérants moghols et donc aussi Raj britannique l’ont enrichie, après quoi elle est partie elle-même à la conquête du monde. C’est cette extraordinaire épopée gastronomique, entre politique, gourmandise et sensualité, que nous conte avec bonheur Lizzie Collingham.
Guidée par une formidable documentation qui épluche aussi bien les registres de commerçants que les récits de diplomates ou de voyageurs, Lizzie Collingham nous livre un essai passionnant. Elle nous rappelle, à travers d’innombrables anecdotes comme celle du jeune Gandhi, brahmane végétarien, qu’on persuade que manger de la viande lui donnera la force de combattre les Anglais ou bien celle de la reine Victoria, folle de l’Inde et de son beau secrétaire indien de 24 ans dont elle sera forcée de se séparer pour respecter les convenances, que tous les grands moments de l’Histoire – les explorations, les guerres, les invasions – se retrouvent, immanquablement, sur la table.
Une lecture à conseiller à ceux qui s’imaginent que la cuisine “fusion” est une invention moderne. Lizzie Collingham nous rappelle que dès qu’il y a cuisine (et non plus seulement nourriture) il y a fusion.