Alors que la presse nous inonde d’images de tortues marines piégées dans des sacs plastiques ou de poissons dans lesquels on retrouve des résidus d’emballages, il nous semble que l’océan soit devenu bien hostile pour ses occupants millénaires. On découvre alors l’existence de ce que certains appellent le « septième continent » : un étendue de déchets rassemblés par les courants marins au milieu du Pacifique et qui couvriraient une surface de 1 à 3 fois celle de la France. Le film documentaire de l’Expédition 7e continent a été diffusé durant la COP22 à Marrakech.
Malgré cela, les emballages sont omniprésents dans nos magasins et constituent un argument décisif dans notre décision d’achat, de telle sorte que les marques ne puissent envisager de s’en passer. Voire mêmes, elles investissent dans la refonte de leur conditionnement pour que leur produit capte le regard du consommateur. Quelques exemples récents :
- la nouvelle boîte de bonbons Haribo en forme de fleur se démarque des boîtes circulaires toutes semblables : on ne vend pas un nouveau contenu mais un nouveau contenant ;
- le carton phosphorescent de Granola qui cible les noctambules plutôt que les adeptes du goûter en proposant d’éclairer les gourmands durant la nuit :
- la grande tendance des étiquetages personnalisés à laquelle ont succombé CocaCola avec ses bouteilles portant des prénoms ou Evian, grand champion de la bouteille design en édition limitée, qui propose dorénavant de faire imprimer ses propres messages sur un pack de 6 pour la modique somme de 5,00€ les 75cl d’eau Pure.
Il devient clair que l’achat alimentaire n’est plus simplement orienté par le besoin nutritionnel, le goût ou même le rapport qualité/prix. Il existe une « expérience utilisateur » dans l’acte de manger qui dépasse l’aliment lui-même. De sorte que les rayonnages des supermarchés n’en finissent plus d’arborer des paquets colorés, des bouteilles aux formes pulpeuses, des boîtes conçues pour ressembler davantage à un écrin qu’au cageot de patates des étales du marché (même si celui-ci, criant d’authenticité, tend à redevenir bankable).
La conception de l’emballage est une étape si déterminante dans le développement de nouveaux produits qu’elle fait appel à des experts formés à l’université. Selon les sites d’orientation scolaire, les « designers packaging » doivent disposer d’un diplôme bac+2 voire bac+5 pour être reconnus par le monde professionnel. Ainsi, s’ils disposent généralement d’une formation initiale artistique, c’est entre les régimes de banane et les salsifis en conserve qu’ils sont destinés à exposer leurs œuvres, et leur créativité sera encadrée par un cahier des charges millimétré. Si la fonction première du packaging est de protéger son contenu, les contraintes appliquées au choix de l’emballage sont nombreuses et justifient amplement les études longues permettant de se spécialiser :
- la praticité et l’ergonomie : il doit être facile à remplir et transporter du fournisseur au distributeur puis du distributeur au consommateur. Notez par exemple le boom des salades en boîte qui permettent de prendre une pause déjeuner équilibrée sans avoir à préparer son repas à l’avance, mais dont l’emballage est à usage unique ;
- la sécurité : il doit garantir l’intégrité de son contenu et notamment ne pas contenir de matériaux dangereux pour la santé du consommateur ;
- l’écologie : la législation est de plus en plus restrictive et demande aux marques d’opter pour des emballages biodégradables ou au moins recyclables, sans effets néfastes sur l’environnement ;
- la visibilité et l’esthétique : si l’emballage se veut d’abord être un outil d’affichage et de promotion, l’apparence sera souvent le petit plus qui fera briller les yeux de l’acheteur, à grand renfort d’étude neuromarketing. Au risque que, éblouis par le design, nous devenions aveugles devant la composition réelle des aliments et de leur mode de fabrication.
Si la quantité de déchets générés par habitant n’a pas subit de grandes évolutions au cours des 10 dernières années, la population ne cesse de croître et les éventuels producteurs de déchet avec elle. Mais il est important de remarquer que le taux de recyclage des déchets ménagers a très nettement progressé : passant de 49 à 66% entre 2005 et 2014 (Source Eurostat).
Il est cependant primordial de ne pas oublier que, bien qu’un déchet recyclé soit moins néfaste pour l’environnement qu’un déchet incinéré ou, a fortiori, qu’un déchet sauvage, il reste plus polluant que l’absence quasi totale de déchets rendue possible par la consommation de produits locaux et non transformés. Ainsi, lorsque la marque de jus de fruits Innocent avance que ses boissons sont composées des « meilleures oranges. Et rien d’autre. » elle oublie les tonnes de plastique qui composent ses bouteilles, avec elles les kilomètres de chemin parcourus par la pulpe entre les pressoirs géants et le fond de notre gosier … Alors qu’un tour chez le primeur et un tour de poignet aurait pu suffire à déguster un jus provenant des « meilleures oranges. Et rien d’autre. »
Karen Uriot est chercheuse en génomique et membre du Food 2.0 LAB