Le permis de végétaliser octroyé par un nombre croissant de villes est une nouvelle étape dans l’émergence des métropoles vertes et durables, invitant les habitants (que l’on appelle désormais urbainculteurs ; Paris-culteurs pour Paris) à devenir acteurs et “co-producteurs” des espaces verts. La belle heure de la « ville verte participative » semble arriver ! Un foisonnement d’initiatives citoyennes végétales, florales, potagères, maraîchères, … marque le passage de politiques d’aménagement végétalisé à des politiques de “co-ménagement agro-urbain” et de créativité vivrière. Les enjeux des politiques publiques se sont complexifiés et la construction mythologique du projet de « renaturer » la ville s’est enrichie, densifiée, consolidée dans ses processus narratifs.
Vers un urbanisme vert collaboratif et multifacettes
En déployant un foisonnement de médiations participatives autour de la nature, il ne s’agit plus seulement pour la gouvernance de nos villes d’évangéliser aux valeurs vertes mais d’impliquer, de susciter des engagements, d’en appeler à la créativité des citoyens, via : la consultation (autour de l’occupation verte de friches urbaines, de la végétalisation de façades…), la concertation (sur des budgets verts, la sélection de jardins comestibles partagés, …) mais aussi via l’appel à des propositions concrètes (dispositifs originaux conçus par les habitants). Les enjeux affichés ne sont plus seulement écologiques et/ou esthétiques mais aussi sociaux, sensibles et … économiques.
Les discours dominants et les actions menées par diverses grandes et moyennes villes de France attestent de cette diversification. Ainsi Angers (en créant dès 1990 une maison de l’environnement) s’est voulue pédagogue et collaborative ; Dijon se focalise sur la biodiversité urbaine ; Grenoble se concentre sur le rôle social des espaces verts et la propreté (notamment en portant son effort sur des voieries vertes à destination des cyclistes) ; Nantes (qui fut désignée en 2013 Capitale Verte de l’Europe) affiche un redoutable arsenal d’intentions (sauvegarde de la biodiversité, qualité du cadre de vie des habitants, efficacité énergétique, gestion de l’eau, transports verts et plus récemment statut affirmé de “Ville vivrière”, “ville comestible” pour ne pas dire nourricière)… ; Menton quant à elle semble jouer plus simplement sur le développement de son patrimoine végétal avant tout dans une perspective touristique.
En résumé, on distingue différents enjeux :
- Enjeux écologiques: depuis longtemps les pouvoirs urbains ont compris le potentiel du végétal pour rendre la ville plus douce et vivable puis pour atténuer les effets du réchauffement climatique lié aux concentrations urbaines – les végétaux jouant le rôle de climatiseurs et de décloisonnement (abaissement de la température et récréation d’’ilôts de fraîcheur’ mais aussi création de corridors écologiques favorisant la biodiversité en ville) ;
- Enjeux esthétiques : ils ne sont pas nouveaux (ainsi dès la fin du 19ème siècle les formes esthétisées et hygiénistes des parcs et des jardins urbains) mais cette esthétisation ne vise pas que l’embellissement cosmétique du cadre de vie; elle cherche à renforcer l’offre en termes de patrimoines végétaux et à susciter la créativité des habitants – ainsi : décoration de potelets végétalisés, jeux mélodiques de plantes grimpantes sur les murs externes d’immeubles, inscription de poèmes et de paraboles sur les palissades ou planches protégeant les îlots verts, cartels ludiques et poétiques pour présenter au public les plantations de voisinage, etc. – le tout participant à composer de nouveaux paysages urbains ;
- Enjeux sociaux : nombre des invitations vertes encouragent de nouvelles formes d’appropriation du territoire, favorisent la création de liens et de solidarités entre les habitants, mais aussi entre les associations, les écoles et les entreprises locales. Le verdissement de la ville semble devoi ouvrir à une grande richesse de moments de partage (arrosage, taille, désherbage), d’éducation et de transmission de savoirs mais aussi de don (de graines, de semences, de pots, d’outils, etc.). Au-delà de la réinterprétation des espaces publics, il s’agirait bien de ‘stimuler’ le lien social… Même si parfois cette émulation trop réussie peut poser problème : possible privatisation des espaces publics, gênes liées à des occupations trop extensives, rare exploitation financière des productions ;
- Enjeux économiques: ils sont de plus en plus assumés et spécifiés ; le verdissement et l’agro-écologisation de la ville sont appelés à devenir des vecteurs d’emplois et de développement économique, mais aussi de performances énergétiques des bâtiments et de valorisation des patrimoines immobiliers. Enfin, ils se concrétisent par de nouvelles formes d’aménagements en ce qu’ils participent à redessiner la ville autour de parcs naturels urbains, d’éco-quartiers, de quartiers fermiers ou encore d’éco-villages urbains ;
- Enjeux sensibles: nombre d’études ont montré combien la nature favorise le bien-être, les émotions positives, et donc la santé (tant mentale que physique) ; mais aujourd’hui, à l’heure de l’injonction renouvelée à la ville « sensible », « résiliente », « bienveillante », le regard se nuance et se veut plus subjectif : le contact quotidien avec la nature urbaine, le vécu dans la ville vivrière (verte, florale, potagère…) ouvriraient à la fois à des cheminements autres dans la ville mais aussi à des formes d’engagements intimes de soi, à des expériences émotionnelles, sensorielles, psychiques dont les anthropologues et les psychologues nous disent toute la finesse.
Autant d’attentes en termes de « ville durable » qui se pluralisent. Mais un risque, d’une autre ampleur est à venir – il demandera toute notre vigilance dans le futur.
La prise en otage des initiatives citoyennes ?
La course aux classements internationaux (“rankings”) s’intensifie tout comme le nombre des palmarès « urbains ». C’est le cas de la désignation « Capitale Verte de l’Europe» (destinée aux villes de plus de 100 000 habitants) ou des labels privés “Ville Verte” ; nous pouvons rappeler la création, ces dernières années, de la désignation « European Green leaf » (la ville ‘Feuille verte européenne’), du concours « Victoires du Paysage » (créé en 2008 et dont les critères d’évaluation: l’esthétique, la valorisation du cadre de vie, le respect des règles de l’art, le développement durable) ou encore des appellations (encore diffuses) de « Ville comestible » ou de « Smart green Cities », sans doute vouées à des lendemains fertiles …
Les enjeux publicitaires et symboliques des villes « vertes » semblent s’intensifier sur l’échiquier international des villes les plus attractives, les plus innovantes, les plus « smart ». A se demander si la tentation verte (et aujourd’hui vivrière) ne risque pas « aussi » dans les années à venir de voir se substituer aux militants des premières heures de grands groupes éco-industriels, agroécologiques intervenant, à des échelles de grande ampleur, dans l’aménagement des villes… Ainsi, en nous tournant vers Singapour, vers les Emirates ou vers la Chine, ne constate t’on pas qu’ils sont déjà à l’œuvre et participent ainsi à une nouvelle étape du déploiement de l’agriculture urbaine?
Dominique Pagès est membre du Food 2.0 LAB et enseignante chercheure au Celsa-Paris Sorbonne, Laboratoire GRIPIC.