L’obsésité, le diabète… et l’ours

La période est propice aux agapes. Entre champagne qui coule à flot, surenchères de foie gras et bûches non moins grasses, chocolats avalés en série et verres de liquoreux, en série aussi, c’est le moment idéal pour casser un peu l’ambiance et parler insuline, surpoids, obésité et diabète.

Structure cristallographique de l'insuline

Structure cristallographique de l’insuline

Petit rappel: la régulation de la glycémie par l’organisme est liée à la capacité des cellules à absorber le glucose, faisant ainsi baisser sa concentration dans le sang. Pour cela, le pancréas secrète de l’insuline, une hormone dont la fonction première est de faciliter l’entrée de glucose dans les cellules (notamment celles du foie, des muscles squelettiques et les cellules adipeuses) en cas d’hyperglycémie. Si globalement, l’action de l’insuline est souvent résumée par son effet hypoglycémiant, son rôle est plus vaste puisqu’elle influence au final le métabolisme des glucides, des lipides et des protéines.

Ainsi, après un repas (et surtout un repas bien riche), sous l’influence de l’élévation de la glycémie, la sécrétion d’insuline est stimulée, ce qui permet le stockage du glucose, produit final de la digestion des aliments glucidiques.

Le diabète de type 2 s'observe le plus souvent chez des individus en surpoids ou obèses

Le diabète de type 2 s’observe le plus souvent chez des individus en surpoids ou obèses

Que se passe-t-il lorsque le corps est incapable de produire suffisamment d’insuline ou de l’utiliser correctement? On développe un diabète, maladie chronique dont on distingue deux principaux types. Le diabète de type 1 (ou insulino-dépendant), qui représente moins de 10% des cas et peut survenir à tout âge, est généralement la conséquence d’une maladie auto-immune, avec destruction des cellules du pancréas responsables de la sécrétion d’insuline, dont le patient doit compenser l’absence par des injections quotidiennes. Le diabète de type 2, de loin le plus répandu (près de 90 % des cas), parfois qualifié de non insulinodépendant, survient classiquement chez l’adulte de plus de quarante ans présentant le plus souvent une obésité (ou du moins un excès pondéral) avec parfois des antécédents familiaux (facteur génétique). Au début de la maladie, la production d’insuline est normale, mais les cellules de l’organisme chargées de capter et d’utiliser le glucose deviennent progressivement insensibles à l’insuline, d’où une augmentation de la glycémie, qui peut entraîner divers troubles physiologiques à sa suite (troubles respiratoires, hypertension artérielle, risque accru d’accidents vasculaires cérébraux, voire amputation d’un membre en cas de troubles circulatoires).

Grizzli en forme

Grizzli en forme

Que vient faire l’ours dans tout cela? Après nous être récemment penché sur les différentes manières de l’accommoder, il est sans doute opportun de nous intéresser de près à une propriété particulière de l’animal: son absence de diabète, malgré un régime totalement déséquilibré et une obésité saisonnière fort prononcée.

En effet, tous les automnes, l’ours se gave afin d’augmenter de manière spectaculaire sa masse corporelle avant d’entamer son hibernation. Un tel gain de poids aurait vite fait de déclencher chez nous quelques désordres métaboliques, en tête desquels le redouté diabète susmentionné. Mais pas chez cet animal, qui s’accommode très bien de ces brusques variations de poids. Etudions de plus près ce petit miracle.

Lorsque nous prenons du poids, certaines de nos cellules (notamment les cellules adipeuses) deviennent moins sensibles à l’insuline, du coup le taux de sucre dans le sang augmente. L’ours (brun), quant à lui, peut facilement prendre 100 à 200kg de graisse pendant l’été, ses taux d’insuline et de sucre dans le sang restent constants, comme nous l’ont révélé les chercheurs de l’université de Washington dans une étude parue il y a 2 ans. Problème: cette étude, qui avait fait la couverture du journal (réputé) Cell Metabolism et alimenté de nombreux communiqués de presse, a été rétractée un an plus tard, à cause d’une falsification de certaines données (fait malheureusement de plus en plus courant dans la jungle de la littérature scientifique et la course au scoop, mais c’est un autre débat sur lequel nous ne nous appesantirons pas ici). Les scientifiques avaient-ils vendu la peau de l’ours un peu trop tôt? Non, car il semble bien que tout ne soit pas à jeter à la fosse (aux ours), les auteurs, délestés de l’indélicat falsificateur de données, ayant depuis repris méticuleusement leur étude pour parvenir tout récemment à une conclusion similaire: l’ours est bel et bien un animal étonnamment non sujet au diabète.

Si certains tenteront d’invoquer le régime particulièrement sain de l’animal, qui va chercher la plupart de ses calories dans les plantes, les baies, les racines, voire les insectes (notamment les mites, dont il raffole et qui peuvent représenter jusqu’à un tiers de son apport calorique), le fait est qu’avec un tel régime grossissant (jusqu’à 4kg/jour de prise de poids) et une telle accumulation de graisse, nous développerions rapidement quelques désordres métaboliques. Pas l’ours. Son secret? Une régulation particulière de l’expression de certaines protéines et une adaptation saisonnière à la réponse de ses cellules à l’insuline. Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont étudié la réponse de grizzlys en captivité soumis à des régimes variés ainsi que des tests sur des adipocytes (cellules graisseuses) en culture. Ceci leur a notamment permis de démontrer que l’ours était résistant à l’insuline pendant son hibernation mais sensible pendant l’automne qui précède.

Fait remarquable, cette robustesse métabolique semble être partagée par la plupart des ursidés. Ainsi, même l’ours citadin que l’on trouve parfois trainant autour de quelques agglomérations américaines, nourrit à la junk food (au sens littéral du terme, puisqu’il se régale dans les poubelles) et rendu feignant par cette nourriture facile d’accès, grossit, mais apparemment sans développer de pathologie particulière. Tant qu’à l’ours polaire, qui, pour le coup, mange très, très gras, il a su évoluer en développant un métabolisme particulier qui lui permet de vivre avec un taux de cholestérol dans le sang qui donnerait une crise cardiaque au premier humain venu.

Certes, encore beaucoup reste à comprendre sur les mécanismes biochimiques en jeu, mais cet animal pourrait bel et bien inspirer de nouvelles pistes dans la recherche de nouveaux traitements antidiabétiques, actuellement principalement menée sur des modèles murins, nettement plus praticables en laboratoire, mais aux résultats souvent décevants quant à leur transposition à l’homme, le métabolisme des souris étant quand même assez différent du nôtre. Les ursidés seront-ils plus inspirants?

 

Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB.

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