Savez-vous comment se fabrique le Roquefort ? Se confectionnent le Cointreau ou la Chartreuse ? Sont préparées les Bêtises de Cambrai ? Se brassent les bières alsaciennes ? ….
Le récent succès du Guide du Routard de la Visite d’entreprise (sorti courant octobre), celui actuel de guides régionaux sur le tourisme de savoir-faire (Limousin, Alsace, etc.) et celui, croissant, du site Entreprise et Découverte (E&D, www.entreprisetdecouverte.fr, créé en 2012 par l’AVE – Association de la Visite d’entreprise) nous invitent à questionner plus particulièrement les visites consacrées aux entreprises des filières liées à l’agroalimentaire. D’autant plus que celles-ci sont prépondérantes et ne cessent de se diversifier : ainsi l’alimentaire et les vins et spiritueux arrivent-ils en tête des 5 secteurs d’activités les plus impliqués dans le tourisme dit de découverte économique – à hauteur de 60% de l’ensemble (18% pour les métiers de l’artisanat, 10% pour l’environnement et l’énergie, 7% pour la mode et les cosmétiques, 5% pour l’industrie technologique).
Avant d’évoquer les enjeux des visites d’entreprises agroalimentaires, revenons sur la définition du « tourisme de découverte économique », appelé aussi « tourisme de savoir-faire » et « tourisme industriel » (même si chacune de ces notions nuance l’offre en présence). Celui-ci recouvre la visite d’entreprises en activité (de type industriel, artisanal, agricole, de service ou encore de recherche) qui ouvrent leurs portes au public, alliant à la fois un produit et une prestation touristique, un outil de communication évènementielle et un outil de développement économique.
Pourquoi les entreprises ouvrent-elles leurs portes ?
Les enjeux (communicationnels, marketing voire de marque) des entreprises sont évidents mais se complexifient. Elles s’ouvrent de plus en plus au tourisme de savoir-faire pour :
- l’image : l’entreprise se dévoile au public et promeut la qualité « made in France»
- la vente : l’entreprise offre ainsi des espaces-temps marchands patrimonialisés, plus immersifs et dialogués
- la promotion de leurs métiers, notamment auprès des jeunes publics : la visite peut révéler des vocations, enjeu déterminant pour le secteur alimentaire (le premier employeur industriel français avec plus de 500 000 emplois et devant renouveler 30 000 emplois annuellement) ; elle peut aussi conforter la fierté et l’engagement des employés
- la territorialisation: l’entreprise témoigne ainsi de son ancrage dans un territoire, s’inscrit dans son offre touristique (grâce aux relais des offices de tourisme) et notamment dans ses itinéraires gourmands.
Pourquoi visiter une entreprise agroalimentaire ?
La visite d’entreprise est un des rares produits touristiques susceptible de toucher tous les types de publics : individuels et groupes, jeunes et seniors, groupes d’amis et clientèle familiale… De là, les aspirations, motivations et attentes sont multiples mais peuvent se résumer en deux grands axes : la volonté de découvrir et de comprendre le fonctionnement de ces entreprises, les processus en jeu, de se sensibiliser concrètement aux patrimoines alimentaires (notamment en réaction aux crises alimentaires qui ont suscité une défiance vis-à-vis de la qualité et des origines des produits), la visite devient ainsi pleinement culturelle ; mais aussi le désir de vivre « un moment d’exception et une expérience sensorielle (voire insolite), d’échanger avec les salariés en partageant l’histoire de l’entreprise (aussi romancée soit-elle).
Les médiations à enrichir ?
Donner à interpréter des processus, rendre accessibles des savoir-faire complexes, faire participer,… tout cela demande des compétences relationnelles et une capacité à transmettre des connaissances, tout à la fois historiques, artisanales, techniques et technologiques. Ainsi le travail sur les parcours et les visites se théorise et se professionnalise progressivement, en se référant notamment aux recherches muséologiques et communicationnelles (ainsi, « Les mises en scène de la visite guidée. Communication et médiation » de Michèle Gellereau). Car inviter à goûter et à faire, aiguiser l’expérience sensorielle, c’est construire, de manière pédagogique et culturelle, une proximité avec le public, une confiance garante de son plaisir à visiter mais aussi de son désir de relayer la «bonne parole» sur l’entreprise. Cette invitation reste en effet ambivalente, oscillant entre éducation patrimoniale et acte marchand.
Si cette forme de tourisme cherche à la fois à nous réconcilier avec le tissu économique et la « bonne» alimentation, à renouveler et à densifier l’offre touristique de produits gourmands, la promotion de ces visites auprès des touristes étrangers reste souvent hésitante, parfois trop littérale en termes interculturels. En cela, le guide du Routard (en réimpression et réalisé en partenariat avec l’AVE), qui ouvre éditorialement les portes de 450 entreprises dans les régions françaises, a bien pensé à leur attrait pour le touriste étranger en fondant sa sélection sur certains indicateurs: que l’entreprise soit connue et représentative du patrimoine économique français ; qu’elle propose une offre culturelle autour de son histoire, de ses savoir-faire, de ses valeurs ; que les visites soient accessibles à tous et dans les meilleur conditions d’accueil.
Certes, les moyens manquent parfois à l’appel au niveau des entreprises agro-alimentaires, qui sont avant tout des TPE/PME (à plus de 85%). De là, le rôle central des Institutions publiques du tourisme (et notamment les CDT et les CRT) pour accompagner cette mise en tourisme international et conforter l’inventivité de ces médiations de l’alimentaire, du culinaire et du gastronomique.
Dominique Pagès est membre du Food 2.0 LAB et enseignante au Celsa-Paris Sorbonne, Laboratoire GRIPIC.
Liens
http://www.visites-entreprises-limousin.com/
http://www.tourisme-alsace.com/fr/idees-visites-guidees/visites-entreprises/
http://www.calvados-accueil.com/visites-entreprise.html