De la science à l’art culinaire

10 février 2016 à l’ISCC-CNRS (voir le compte-rendu ci dessous)

food-20-conference-christophe-lavelle-10-fevrier-2016Viandes grillées, pâtes levées, cristallisation du chocolat, foisonnement de la crème chantilly, gélification des bouillons: le monde de la cuisine regorge d’objets et de phénomènes plus ou moins mystérieux. Au cours de cette conférence, nous présenterons brièvement les quelques bases scientifiques nécessaires pour mieux comprendre les transformations culinaires. Ce faisant, nous reviendrons sur l’évolution de notre alimentation lors de ces 40 dernières années et discuterons des perspectives pour la cuisine du futur (C.L.)

 

Christophe Lavelle est membre du FOOD 2.0 LAB, chercheur au CNRS, rattaché au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris et associé au Pôle Alimentation, risque et santé de l’ISCC.

COMPTE -RENDU

Christophe Lavelle travaille à la croisée de la biologie, de la chimie et de la physique, pour comprendre d’une part l’expression des gènes, et d’autre part la cuisine et les phénomènes moléculaires qui la sous-tendent. En guise d’introduction, il illustre la proximité entre ces deux domaines par un jeu d’initiales, entre Mécanique des Génomes et Gastronomie Moléculaire (MG – GM).

Science dure

220px-Jean_Anthelme_Brillat-SavarinDéjà en 1825 dans Physiologie du goût, le gastronome Brillat-Savarin avait souligné la composante “science dure” de la cuisine : “[Elle] tient à l’histoire naturelle, par la classification qu’elle fait des substances alimentaires; à la physique, par l’examen de leurs compositions et de leurs qualités, à la chimie par les diverses analyses et décomposition qu’elle leur fait subir” “.

Le rapprochement de la science et de la cuisine s’émancipe au début du XXème siècle, sous la plume du chef cuisinier Auguste Escoffier, co-auteur du célèbre Guide Culinaire. La compréhension progressive des phénomènes à l’échelle cellulaire puis moléculaire, appelle à une plus grande précision, à “une méthode et une rigueur” qu’on ne connaissait pas auparavant en cuisine. Cette dimension devient centrale et le physicien Nicholas Kurti aura ce mot qui le résume bien en 1969 : “je trouve triste pour notre civilisation, qu’alors que nous mesurons la température de l’atmosphère de Vénus, nous ne savons pas ce qu’il se passe à l’intérieur de nos soufflés”.

40170120cuisine-moleculaire-1-jpgMais l’aspect inconnu que prend notre assiette, la transformation spectaculaire des aliments par des phénomènes que nous ne comprenons pas toujours, éveillent la suspicion, à l’instar de ce que les journalistes ont appelé “cuisine moléculaire” dans les années 90, et qui reste mal comprise. Christophe Lavelle rappelle donc au terme de son introduction, que la cuisine moléculaire est simplement une tendance qui explore de nouvelles possibilités en jouant sur de nouveaux ingrédients, outils et de nouvelles méthodes, éventuellement inspirées de la gastronomie moléculaire, qui est elle-même une discipline scientifique consacrée à l’étude de la transformation des mets.

Compote de poires

Entrons dans le vif du sujet, avec l’analyse d’une recette de compote de poire. Le squelette de la recette est simple : sucre+poire avec cuisson. Mais dans un examen détaillé de la recette, Christophe Lavelle explique le traitement que l’on fait subir à chaque ingrédient, et leurs effets les uns sur les autres. Comme pour nous faire suivre la démarche pratiquée en gastronomie moléculaire. Ainsi, si simple que cette recette puisse paraître, son déroulé repose sur de multiples transformations dont la maitrise conditionne la réussite du produit final. La connaissance intime des ingrédients et de leur potentiel est à la base d’une cuisine bien maitrisée:: cuit à 62°C, le jaune d’un œuf coule, cuit à 65°C il ne coule plus. Le sucre est aussi un aliment que nous connaissons sous des formes bien différentes : en morceaux, sous forme de caramel où les molécules sont transformées et attachées de manière désordonnées rappelant l’état vitreux, ou encore sous forme fil comme dans la barbapapa.

Nouveaux ingrédients, nouveaux outils, nouvelle cuisine

Funky-Gourmet-saladLa farandole de plats que Christophe Lavelle fait alors défiler illustre bien la dichotomie “déconstructivisme/constructivisme” qui anime les chefs : on découvre une soupe en cubes mangeable à la main, un cassoulet sphérique, une salade grecque à l’allure de neige, une tarte au citron à siroter ou encore un grand pied de nez à Coca-Cola, le burger liquide. La conclusion que tire Christophe Lavelle est que si l’assemblage des ingrédients est souvent culturel la pratique tend de plus en plus à exacerber les émotions procurées par un plat, en travaillant le côté visuel et en bousculant éventuellement les habitudes. L’utilisation de nouvelles molécules pour créer ou recréer de nouvelles saveurs ettextures, ouvre de nombreuses voies. Mais loin de se cantonner à de la cuisine expérimentale pour quelques privilégiés, ces nouvelles techniques d’élaboration des plats pourrait également bénéficier à la restauration collective, notamment en améliorant, par une meilleure maitrise des textures et du visuel, l’offre dans les maisons de retraites, où la dénutrition reste un fléau majeur. Dans le même temps, l’absorption de nouveaux aliments élaborés à partir de composants et de techniques non encore reconnues comme “traditionnnelles” inquiète une part des consommateurs. L’histoire de la démocratisation de la cuisine moléculaire (ou “nouvelle nouvelle cuisine” comme l’appelle certains auteurs, en échos à la “nouvelle cuisine” proposée par Gault et Millau dans les années 70), reste à écrire.

S. Fumey (relue par l’auteur)

 

 

 

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