La digitalisation générale du quotidien (smartphones, Apps, blogs, réseaux sociaux, objets connectés) et le déluge de données qui s’ensuit, déferlent sur les individus et transforment insensiblement nos modes de consommation alimentaires.
Le mouvement du « quantified self » ( « soi quantifié ») qui s’est développé de façon radicale depuis 2010, prospère sur ces changements. A l’origine du mouvement aux Etats-Unis, Kevin Kelly et Gary Wolf, un ancien journaliste de Wired, qui en 2010 publie dans le New York Times Magazine, un manifeste (“The Data Driven Life”) où il expose les principes d’une existence gouvernée par nos données personnelles.
Dans les années 1990, Gordon Bell, ingénieur chez Microsoft, a été un précurseur du “quantified self”; il a des années durant, enregistré son existence en portant une petite camera (SenseCam) autour du cou qui prenait une photo toutes les trente secondes. Gordon Bell voulait devenir « le bibliothécaire, l’archiviste, le cartographe et le conservateur de sa propre existence ». Les promoteurs du “quantified self” nourrissent le secret espoir que dans le flux croissant de nos données personnelles, les algorithmes pourront révéler une vérité essentielle sur ce que nous sommes, et sur ce que nous voulons : un « soi profond » ou plutôt un « avatar algorithmé » de nous-mêmes. Le bonheur est alors une question d’optimisation. Ce que résume d’une phrase Gary Wolf, « jusqu’ici tout ce que l’on a pu quantifier a été amélioré avec le temps ». Une forme de « solutionnisme » et d’« internet-centrisme » naïf dénoncé par Evgeny Morozov. Pourtant et presque insensiblement, le “quantified self” s’immisce dans nos pratiques alimentaires au travers d’une multitude de “Food Apps” et de capteurs : “Calorie Count (There’s strengh in numbers)”, “Meal Snap”, “e-Meals”, “Daytum” aident à collecter, interpréter et comparer nos données personnelles pour “améliorer” au quotidien notre santé et notre bien-être.
Aujourd’hui, les millennials sont les plus grands adeptes de la quantification ; ils sont 80 millions aux Etats-Unis et la moitié d’entre eux se considèrent comme des « foodies ». La façon dont ils mangent et ce qu’ils mangent est essentiel pour eux. Dans nos sociétés hyper-connectées qui valorisent le « sentiment de soi » et la place du corps, en tant que consommateurs, les choix alimentaires des millennials doivent être en accord avec leurs valeurs (données) personnelles. En mai 2016, la chaîne de supermarchés “Bio” (“Organic”) Whole Foods Market, qui l’a très bien compris, a lancé à Los Angeles une nouvelle enseigne de magasins (“365”) destinée aux millennials et aux “digital natives”. En juin 2017, Amazon prend le contrôle de Whole Foods Market…
Au sein du Food 2.0 LAB, ce programme de recherche est dirigé par Richard C. Delerins et Pierre Raffard.
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