Sociologie comparée du Cannibalisme

cannibale Tome 1 : Proies et Captifs en Afrique

L’idée d’une société assumant le fait que ses membres se nourrissent de corps humains constitue une source intarissable de répulsion au sein de la civilisation — en particulier quand l’absorption succède à un acte de violence, et traverse la frontière qui sépare la guerre de la chasse. Embarrassée à plus d’un titre par le thème du cannibalisme, l’anthropologie sociale l’a laissé en friche et continue à osciller entre des déterminations simplistes : cause alimentaire ou motif religieux.
Pour des sciences qui se proposent d’appréhender des réalités hétérogènes, telles que la sociologie, l’histoire et l’écologie, l’occasion s’offre alors d’un double défi à relever : se délivrer de convictions parasites maintenues par la civilisation qui les a engendrées, et combattre enfin de face l’aveuglement terrible et millénaire qui range toute anthropophagie dans le registre de la préhistoire et de la bestialité. En réalité, la dimension historique des sociétés dites « primitives » n’apparaît jamais aussi visiblement que dans les manifestations concrètes du cannibalisme.
La vaste entreprise d’anthropologie historique de l’auteur représente plus d’une vingtaine d’années de recherches de terrain. Il livre avec cet ouvrage le premier volet d’une série monumentale qui en comprendra deux autres, sur l’Asie-Océanie et sur le continent américain.

Tome 2 : La consommation d’autrui en Asie et en Océanie

Autant, dans le premier volume, le cannibalisme africain a sans cesse paru répliquer aux aléas de la traite esclavagiste, autant, en Asie et en Océanie, c’est la diversité des expressions et des contextes qui s’impose en priorité à l’observation. Même parmi les peuples où des institutions admettent et réglementent son éventualité, la fréquence et les modalités pratiques de l’anthropophagie subissent des variations considérables au gré des circonstances écologiques et historiques. Elle s’oppose alors aux rituels de la chasse aux têtes qui tendent au contraire à se spécialiser et résistent davantage au changement : le cannibalisme se caractérise en contraste par sa plasticité.
Sporadique et conjoncturel dans des sociétés égalitaires où il participe à une retenue de la violence, on le voit devenir frénétique quand, par son truchement, le chef veut affirmer une suprématie sur des rivaux. Une limite toutefois : le maître qui accumule la consommation de ses congénères peut bien devenir divin, mais non souverain. Le monarque authentique, lui, fonde l’État en rejetant le comportement du fauve. Néanmoins, l’absence générale d’une rupture déclarée de la culture avec la nature engendre au XXe siècle quelques jaillissements inattendus de la prédation sur autrui (Seconde Guerre mondiale, Révolution culturelle, etc.) où le « civilisé » patenté mime un « sauvage » refoulé en lui.
Selon un vieux poncif, le cannibalisme révèlerait un manque de contrôle social, donc une inaptitude à garantir l’ordre. En réalité, chaque société pense à sa façon les excès et les restrictions : fureurs honorables, désordres excusables et transgressions intolérables. Parfois, le plus redoutable des mangeurs d’hommes ne fait qu’obéir à un mode de vie très contraignant.

Tome 3 : Ennemis intimes et absorptions équivoques en Amérique

« Cannibale » est le premier mot à avoir traversé l’Atlantique d’ouest en est : cet ultime volume explore une Amérique qui représente pour l’anthropologie sociale un continent « à part », aux continuités et aux récurrences surprenantes. Des ethnologues ont subodoré une « idéologie panamérindienne » dans laquelle la conception de l’Autre entoure sa consommation de minutieuses structures rituelles. Du Brésil des Tupis aux Grands Lacs des Iroquois, du royaume aztèque aux civilisations andines, le thème confirme son rôle de révélateur des choix politiques primordiaux, ainsi que celui de porteur d’histoire.
Concluant ce tour du monde sur un sujet déstabilisant la rationalité occidentale, une discussion synthétique analyse les facteurs d’émergence ou de persistance d’une anthropophagie collectivement assumée. En ressortent les motifs inavouables de son incompatibilité avec une société qui s’efforce d’exercer un contrôle massif sur les hommes : le cannibale conserve l’individualité du vaincu, non le « civilisé ».

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