Le café protège de la cirrhose, mais bizarrement, en capsule, il provoquerait le cancer. Le chocolat réduit l’anxiété et booste la mémoire, mais il fait grossir. Le vin protège du cancer… ou le favorise, cela dépend !
Les médias (journaux, émissions de télé, sites internet) s’emparent et ressassent ad nauseam ce type de messages simplistes, soit pour vanter de supposés bienfaits (les clés du bien-être, cela fait vendre) soit pour alerter l’opinion des supposés dangers de notre alimentation (la peur aussi fait vendre). Le sensationnel mâtiné d’un verni scientifique (ou “sciensationnel”) prend régulièrement la place de la mesure et du discernement. Beaucoup moins vendeur ! Bien sûr, les lobbies rôdent, comme les activistes de tous poils, qui viennent souvent entretenir l’inconsistance du débat : chaque salve de l’un, entraîne une réponse de l’autre. Et le combat pour la vérité laisse place à celui de la (mauvaise) foi.
Prenons quelques exemples pour apprendre à garder du recul face aux études scientifiques et à leur traitement par les médias. Pour que l’intelligence et le discernement l’emportent sur la paresse intellectuelle et les messages tranchés ! Les français boivent. Du café, beaucoup (5,5kg/habitant/an) ; du vin, beaucoup aussi (44l/habitant/an). Pour le meilleur ou pour le pire ? Les études scientifiques abondent sur ces sujets.
Sous le titre peu avenant, “Occurrence of furan in coffee from Spanish market: Contribution of brewing and roasting», MS Altaki, FJ Santos et MT Galceran, chercheurs en chimie analytique à l’université de Barcelone, ont publié en 2011 dans le Journal Food Chemistry une étude qui montre que le café en capsules (comme celles utilisées dans les machines Nespresso) contient plus de “furane” que le café vendu en vrac. Précisément, de 20 à 78 ng/ml pour un café “cafetière” classique, contre 117 à 244 ng/ml pour le café en capsules.
Or l’IARC (instance internationale de recherche sur le cancer sous l’égide de l’OMS) a classé le “furane” dans les substances “carcinogènes potentielles”. Il n’en fallait pas plus à la Presse grand public pour s’emballer et se saisir de cette information au potentiel anxiogène, pour titrer sans retenue : “cancer dans les capsules de café”, “les capsules de café sont cancérigènes”, “le café en capsule dangereux pour la santé”. Nespresso s’est empressé de mener une “contre-étude”. C’est de bonne guerre ! En attendant, à y regarder de plus près, les auteurs de l’article avancent l’hypothèse d’une possible nocivité du furane à partir de 30 expressos par jour ; gageons qu’à cette dose, d’autres problèmes ne manqueront pas de survenir, dans lesquels le furane n’y sera pour rien …
Tournons-nous maintenant du côté du vin, boisson chère à notre palais… et à notre Balance commerciale. Le très respectable Institut National du Cancer a joué un bien vilain tour aux viticulteurs et fait fi de toute solidarité patriotique en publiant dans une brochure destinée au grand public un avertissement sans appel : l’alcool (quelle que soit sa source, vin compris, donc) est cancérigène.
L’œnophile ne manquera pas de s’étonner de cette assertion, et brandira promptement la pléthore d’études scientifiques montrant, au contraire, les bienfaits du breuvage des Dieux. Par exemple, “Resveratrol, through NF-Y/p53/Sin3/HDAC1 complex phosphorylation, inhibits estrogen receptor gene expression via p38MAPK/CK2 signaling in human breast cancer cells” publié par Sebastiano Ando et ses collaborateurs des universités de Naples et de Calabre (régions viticoles, mais pas de mauvais esprit s’il vous plaît).
De nouveau, les grands titres s’emballent (mais gardent quand même un peu de mesure pour l’occasion ; il ne s’agirait pas de s’attirer les foudres – et quelques procès – des associations “Anti-alcool”) : “Cancer du sein : Un verre de vin pour guérir ?”, “Un verre du vin contre le cancer : rumeurs ou vrai information ?”. Le discours des auteurs de l’étude est nettement moins accrocheur : “Le resvératrol est un outil phamarcologique potentiel à exploiter contre le cancer du sein dans certains cas”, nous dit Mr. Ando. Nous noterons les subtilités : il ne s’agit pas de vin, mais de resvératrol ; il ne s’agit pas de boisson, mais d’un outil pharmacologique potentiel, il ne s’agit pas de cancer en général, mais de cancer du sein (et encore, “dans certains cas”). Bref, cela est beaucoup moins excitant. En tout cas, à première vue. Car pour l’éditeur du journal (qui doit quand même bien, lui aussi, vendre son affaire), “ces découvertes sont excitantes mais, en aucun cas, ne peuvent être une caution pour inciter les gens à boire du vin ou prendre des compléments de resvératrol pour se protéger du cancer du sein”. Alors on fait quoi, finalement ?
Le fait est que les études scientifiques sont subtiles et complexes. De quel cancer parle-t-on ? Quel aliment ? Quelle consommation? Sous quelle forme ? Par qui ? Quelle méthode d’étude ? Comment tient-on compte de la multiplicité des principes “actifs” dans les aliments (si l’alcool provoque le cancer et que le resvératrol en protège, qui “gagne” quand les deux sont bus simultanément, comme dans le cas du vin) ? Sans compter que ces études n’apportent le plus souvent que des corrélations, là où la science a besoin in fine de causalité, c’est-à-dire d’un schéma clair, à l’échelle moléculaire, du rôle des furanes, de la caféine, de l’alcool ou du resvératrol dans un contexte métabolique. Ce qui laisse encore un peu de travail aux chercheurs. En attendant, gardons un œil critique face au manque de circonspection et aux titres racoleurs de certains médias peu scrupuleux.
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB. Il a récemment publié “Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef!” (Flammarion).
Cet article est repris d’un texte publié, dans une version abrégée, dans le numéro d’avril du Magazine l’Autre Cuisine.