Un sauvignon sur mon poisson ? Un cabernet sur mon magret ? Un bref survol de la vaste littérature consacrée aux accords mets-vins montre que les choix se fondent souvent sur des opinions personnelles dont il est difficile de cerner la réalité physiologique sous-jacente et conférer à ces accords un éventuel caractère universel.
La complexité de notre sens olfactif et sa forte variabilité inter-individus découragent a priori toute tentative de rationalisation scientifique et condamne le choix de la boisson idéale à un empirisme de nature toute subjective. Quelques “règles ” générales semblent cependant émerger, et qui, à défaut d’être universellement admises (toute règle étant amenée à être transgressée), semblent offrir quelques pistes raisonnablement robustes :
– dans l’ordonnancement du service : les vins jeunes doivent être servis avant les vieux, les blancs avant les rouges, les légers avant les corsés, les liquoreux en dernier ; il faut monter en gamme au cours du repas – un vin ne devant jamais faire regretter le précédent.
– dans l’harmonie avec les mets : les tannins du vin rouge se marient bien avec la viande rouge, l’acidité du vin blanc renforce les saveurs des poissons et fruits de mer ; à l’opposé, la vinaigrette tue les vins rouges, les desserts tuent les blancs secs, etc…
En outre, il existe quelques accords “classiques” que l’on peut tenter d’expliquer par des considérations rationnelles. Champagne et caviar ? Les bulles atténueraient le côté salé du caviar. Porto et Stilton ? Le contraste salé/sucré plaît. Homard en sauce (au beurre) et Chardonnay ? Beurre sur beurre, nous sommes dans la similitude. Cabernet sauvignon et viande grasse (bœuf ou agneau) ? Les tannins rendent plus digestes les viandes grasses. Sauvignon blanc sur fruits de mer ? L’acidité valoriserait ces derniers. A l’inverse, il semble raisonnable d’éviter les déséquilibres ou renforcements trop prononcés : sauvignon de Loire (plutôt sec et acide) sur une crème brûlée (grasse et sucrée) ? L’acidité du vin ressortira trop. Un plat épicé avec un carignan corsé ? Le brûlant des épices ressortira trop.
Entre culture culinaire et physiologie du goût
Ces principes, qui semblent relativement consensuels, reposent-ils sur des fondements purement culturels ou puisent-ils également leur légitimité dans quelques déterminations physiologiques ? La question est délicate et ouverte – les scientifiques peinent à y répondre. Le cas le plus étudié, celui des “accords vins/fromages”, a fait l’objet de travaux notables sur lesquels nous reviendrons très prochainement.
En attendant, histoire de compliquer encore l’affaire, souvenons-nous que le met influence le vin autant que le vin influence le met ! Doit-on alors boire avant de manger ? Manger avant de boire ? Les deux, bien sûr, et le fait que l’accord évolue au cours de la dégustation ne fait que renforcer son intérêt. D’autant que plusieurs facteurs vont influencer cette évolution ; d’abord, la salive (et donc a fortiori la présence d’aliments en bouche) influence la libération des composés odorants, modifiant les arômes du vin ; ensuite, le vin évolue dans le verre (changement de température, oxydation) au cours de la dégustation. Si l’on ajoute à cela, comme nous le rappellent diverses études de neuroénologie, que l’environnement (sonore, visuel, tactile) influence nos perceptions gustatives, on se rend bien compte que la quête de l’hypothétique accord “parfait” est sans doute vaine.
Apprenons plutôt à profiter en toute souplesse de la diversité des associations mets/vins et n’ayons pas peur nous échaper des sentiers battus : les heureuses découvertes à la clé valent bien souvent le risque des rares déconvenues qui pourraient éventuellement survenir !
A suivre cet été : Foodpairing (3/3) : Les accords fromages et vins
Christophe Lavelle est chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris. Il est également formateur à l’ESPE pour les professeurs de cuisine et co-fondateur du Food 2.0 LAB. Il a récemment publié « Toute la chimie qu’il faut savoir pour devenir un chef ! » (Flammarion).
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Cet article est repris d’un texte publié dans le numéro du mois de juin 2018 d’Un Œil en Salle.