« Vous ne pourrez manger aucune bête crevée ». Notre société reste fidèle à l’interdit du Deutéronome et tue les animaux dont elle se nourrit. Mais tout procédé de mise à mort n’est pas accepté; il faut verser le sang pour pouvoir transformer le corps en substance consommable, en viande de « boucherie ». Or, de cette condition première du régime carné, nous ne voulons pourtant rien voir. Les sacrifices solennels, les célébrations festives, puis les tueries fonctionnant dans les villes ont fait place aujourd’hui à un abattage invisible, enclos dans des lieux appropriés, tenu à bonne distance. Cette récente séparation entre abattage et boucherie épargne à nos regards le geste fondateur du régime carné. Pourquoi donc faut-il verser le sang des bêtes pour pouvoir se nourrir de leur chair ? Et pourquoi cette nécessité offense-t-elle nos sensibilités, sans pourtant nous rendre végétariens ?
En observant des abattoirs du sud-ouest de la France, Noëlie Vialles, met en lumière l’existence d’un système complexe d’évitement et de dépassement du geste fatal. Son analyse montre comment les modalités de mise à mort et de préparation des animaux domestiques pour la consommation humaine mettent en jeu, bien au-delà de l’abattage, des représentations symboliques du sang, des hommes et des bêtes.
Sommaire :
- Présentation
Qu’est-ce que la viande ?
Délimitation théorique
Diversité concrète
- Chapitre 1 : Non-lieu
De la confusion à la dissociation
Exil et euphémismes
La chair anonyme
- Chapitre 2 : dépouiller la bête : les disjonctions
Dispositions réglementaires
Le ‘propre’ et le ‘souillé’
Abattre/habiller
Assommer/saigner
Tueurs/abatteurs
Le travail émietté
- Chapitre 3 : dépouiller la bête : la patiente métamorphose
Un espace unique
« faire une bête »
désanimaliser
deux logiques, deux morales
un art récent ?
- Chapitre 4 : le sang versé
La chair exsangue
Le sang visible
Déchet ou denrée ?
Le sang et le lait c’est pareil
L’odeur du sang
- Chapitre 5 : hommes et bêtes
L’outil hiérarchisant
Femmes et couteaux
Le ‘piège’
L’inquiétante fraternité
Conclusion